Milieu communautaire : à quoi sert l’évaluation ?

No 042 - déc. 2011 / jan. 2012

Société

Milieu communautaire : à quoi sert l’évaluation ?

Marie Fonds

Parler de l’évaluation n’est pas une chose simple : celle-ci est liée au contexte dans lequel elle est évoquée, de la compréhension que chacun en a et de l’utilisation qui en est faite. Dans le milieu communautaire, cette question éveille des sentiments ambigus où intérêt et méfiance se côtoient. Lorsque évoquée par un bailleur de fonds, l’évaluation inquiète et provoque toutes sortes de craintes. En revanche, lorsqu’elle émerge du milieu lui-même et qu’elle est conçue comme un outil favorisant la réflexion et l’apprentissage autour des pratiques des groupes, alors elle semble aller de soi.

Ainsi, en 2011, dans un environnement politique et institutionnel où la question de l’évaluation est de plus en plus présente, n’est-il pas plus que jamais nécessaire pour les organismes communautaires de s’approprier cette question afin d’en faire un outil stratégique leur permettant d’apprendre collectivement, d’innover et de mobiliser leurs membres ? Bref, le temps n’est-il pas venu de faire de l’évaluation un véritable outil de transformation sociale respectant les valeurs et les pratiques des groupes ?

L’évaluation par et pour les organismes…

Pour que l’évaluation puisse réellement servir les visées de transformation sociale telles que définies par les organismes eux-mêmes, il est primordial que ce soit ces derniers qui en décident les grandes lignes et en deviennent les véritables maîtres d’œuvre. C’est donc dans cette perspective que le Centre de formation populaire (CFP) s’est lancé, il y a environ deux ans, dans la conception et la mise en œuvre d’un projet ambitieux visant à favoriser l’émergence d’une culture de l’évaluation participative chez les organismes communautaires [1]. S’appuyant sur leurs pratiques d’intervention et sur leurs préoccupations, le projet vise à leur offrir un soutien adapté et à construire avec eux des mécanismes de réflexion sur l’action et donc d’évaluation qui leur ressemblent et qu’ils puissent intégrer à leur travail.

Ainsi, ce projet vise surtout et avant tout à redonner à l’évaluation sa fonction et sa finalité premières, à savoir d’être en mesure d’apprendre de l’impact de nos actions pour pouvoir les améliorer et les faire reconnaître.

Dans cette perspective, la prise en considération d’un certain nombre de défis qui, aujourd’hui encore, subsistent quand on parle d’évaluation appliquée à la réalité des organismes, était inévitable. Au delà du manque souvent chronique de ressources des groupes, la difficulté que ceux-ci éprouvent à documenter et à faire valoir l’impact de leurs interventions sur les populations qu’ils rejoignent reste un enjeu de taille. Les organismes semblent plus souvent en mesure d’évaluer la satisfaction de leurs participants que de faire ressortir de manière systématique et articulée les changements que leurs interventions peuvent provoquer dans la vie de ces personnes, de leurs familles et de leurs communautés. Et pourtant, ces effets sont bien réels et souvent essentiels pour les personnes qui les vivent.
Pour cette raison, la démarche proposée aux groupes est basée sur l’utilisation qu’ils pourront faire des résultats afin d’être plus en mesure d’améliorer leurs pratiques, mais également de les promouvoir et d’en faire valoir la qualité et la richesse à leur juste titre.

L’évaluation : un moyen de redonner la parole aux membres et de redonner du pouvoir aux groupes…

Par ailleurs si l’évaluation, confiée aux organismes eux-mêmes, peut constituer un moyen utile à l’avancement des groupes et de leurs pratiques, nous aurions tort de réduire sa portée à cette seule dimension. En effet, il est intéressant de constater que ce type de processus contribue également à renforcer leur vie associative et démocratique.

Dans les faits, lorsqu’elle est fondée sur une approche participative, l’évaluation constitue une opportunité pour l’organisme (incluant ses membres et participants) de s’asseoir autour d’une table afin de se redonner une vision commune de l’action, des changements visés par celle-ci et d’être en mesure de les comparer avec ceux qui s’opèrent dans la réalité.

Dans de nombreux groupes, l’évaluation favorise ainsi la participation et la mobilisation concrète des membres autour des finalités d’un projet et de la mission même de l’organisme. Le processus d’évaluation devient un lieu d’échanges stimulant où les participants s’approprient conjointement avec les intervenants les visées de « changement » de l’action, y apportant tour à tour leur perception et leur vécu. Cette appropriation favorise ainsi l’émergence d’un sentiment d’appartenance au groupe et l’adhésion au projet collectif.
De la même façon, l’étape de la collecte de données, lorsqu’elle est construite comme partie intégrante de l’action, constitue une occasion privilégiée de redonner la parole aux participants. Ces outils peuvent devenir de véritables opportunités d’éducation populaire agissant en continuité et en renforcement de l’intervention. Bien pensés, ils peuvent favoriser la sensibilisation des personnes à certains enjeux, le renforcement d’apprentissages divers, leur permettant ainsi de retrouver un certain pouvoir.

Finalement, à un niveau plus collectif, l’évaluation contribue à redonner du pouvoir aux organismes. Elle les aide à avoir une vision plus précise de leur contribution à la réalisation d’une plus grande justice sociale et leur permet aussi d’en identifier plus précisément les limites, favorisant ainsi une prise de conscience collective autour d’enjeux, souvent politiques, qui touchent la communauté. Elle vient renforcer le pouvoir de négociation et de revendication des groupes vis-à-vis des causes qu’ils défendent et contribue donc à appuyer leur projet de changement.

Ainsi, à la question de savoir si l’évaluation peut réellement servir les visées de transformation sociale telles que définies par les groupes, nous répondons que oui. Elle peut devenir un outil de réflexion, d’apprentissage collectif et de négociation des plus riches et des plus pertinents mais, pour cela, il est impératif qu’elle reste entre les mains des organismes et que ceux-ci s’en approprient les enjeux et les mécanismes.


[1L’évaluation Par et Pour le communautaire, au service de la transformation sociale  !, Projet du CFP soutenu par Centraide du Grand Montréal.

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