Présentation du dossier du no. 42
Éthique animale - Les animaux ont-ils des droits ?
Tout le monde, au Québec, se souvient de cette sordide affaire de la fourrière Le Berger blanc, mise au jour au printemps 2011 par l’émission Enquête, et à quel point les images d’animaux maltraités qui y étaient montrées avaient ému toute la province.
On le sait : le cas du Berger blanc n’est pas unique, loin de là, et périodiquement, l’opinion se scandalise du traitement réservé à certains animaux. La chasse (sportive ou autre) semble à plusieurs indéfendable ; les zoos ont en certains milieux bien mauvaise réputation, tout comme les cirques, s’ils possèdent des animaux non humains ; leur utilisation comme sujets d’expérimentations semble problématique à bien des gens, plus encore s’il s’agit de vérifier la non-toxicité de cosmétiques ou de pro- duits domestiques ; les combats de coqs ou autres répugnent à de nombreuses personnes, qui voient aussi typiquement d’un très mauvais œil les courses de chevaux.
Ces faits témoignent de la présence dans l’opinion d’une relativement nouvelle sensibilité à l’endroit des animaux – nouvelle, car on peut poser sans grand risque de se tromper que la majorité de nos arrière-arrière-grands-parents, du moins en Occident, n’auraient probablement pas fait grand cas de ces animaux qui émeuvent tant de gens aujourd’hui.
Cette sensibilité populaire est pourtant aussi, dans bien des cas, fort sélective. On s’émeut ainsi volontiers du sort des animaux familiers que sont chats, chiens et chevaux, d’animaux « jolis » et « charmants », mais guère ou pas du tout de celui des animaux d’élevage vivant dans des conditions atroces et que la plupart d’entre nous consommons quotidiennement ; guère, non plus, de plusieurs animaux que nous utilisons pour nous vêtir, pour nous divertir et à d’autres fins encore.
De telles sélectivités dans l’indignation sont-elles légitimes, cohérentes, défendables ? Est-il cohérent, par exemple, de s’indigner de la souffrance d’un chien, mais pas de celles de ces innombrables poulets ou cochons que nous consommons annuellement ? La souffrance est-elle un bon critère pour en décider ? Où conduit alors son application systématique ? Les animaux ont-ils des droits ? Doit-on, partant, et au nom de quoi, étendre à certains grands singes des droits jusqu’ici accordés aux seuls humains ? Est-il d’ailleurs approprié de parler d’animaux non humains ? Et puis, les dauphins sont-ils des personnes, comme on le pense souvent à présent dans les milieux informés ?
On le pressent sans doute immédiatement : il y a derrière de semblables questions de formidables enjeux théoriques et elles ont potentiellement d’immenses répercussions pratiques et militantes. Le présent dossier vous invite à explorer ces enjeux et leurs répercussions.
Il comprend trois parties distinctes.
La première, plus théorique, propose une incursion dans le désormais vaste et très actif domaine de l’éthique animale, consacré à l’étude du statut moral des animaux et de la responsabilité morale des hommes à leur endroit.
On l’aura deviné : même s’ils comptent de nombreux précurseurs et que bien des disciplines y ont apporté et y apportent encore leur pierre, ce sont des philosophes, au premier rang desquels Peter Singer et Tom Regan, qui ont récemment mis de l’avant des réflexions qui sont désormais le cœur même de l’éthique animale. Les deux premiers textes du dossier, par Martin Gilbert et Valéry Giroux, réussissent le tour de force de nous faire pénétrer dans ce vaste domaine et en apprécier la richesse et la complexité.
L’éthique animale, on le constatera, invite à un vaste élargissement de la sphère éthique de manière à y inclure des êtres qui en étaient jusque-là exclus. Rien de tout cela ne va sans de profondes répercussions pratiques et militantes que la deuxième partie de ce dossier explore. Cette section s’ouvre sur deux textes de Lise Bergeron, qui travaille à la SPCA – des textes justement consacrés à ce qu’on peut y voir quand on y œuvre. Chantal Santerre aborde quelques aspects des législations canadienne et québécoise sur le bien-être animal et se penche notamment sur le transport des animaux de ferme, les abattoirs et le sort des animaux utilisés à des fins de recherche.
Chez les militantes et les militants, la partie la plus visible des retombées de toutes ces questions est probablement la (relative) prévalence du végétarisme. Léa-Laurence Fontaine nous explique ce choix éthique qu’est pour elle le végétarisme. Une jeune femme pratiquant elle aussi un végétarisme éthique, Marie Santerre-Baillargeon, se penche sur la question des animaux de compagnie.
En troisième partie, notre revue est heureuse et honorée de publier en ses pages des textes de deux des plus importants penseurs de l’éthique animale, Peter Singer et Tom Regan. Ils se consacrent à la prospective, c’est-à-dire à la question de savoir quelles sont les grandes orientations à la fois théoriques, pratiques et militantes que le mouvement pour les animaux devrait ou est susceptible de prendre dans les années à venir. Gérald McKenzie nous parle d’un autre texte de Singer, qui analyse le documentaire Project Nim. Ce film raconte la vie d’un singe, Nim, que l’on a arraché à sa mère dès les premiers jours de son existence pour tester ses capacités d’acquisition d’une langue des signes. Finalement, Gilles McMillan nous invite à réfléchir, avec Deleuze, à notre relation avec les animaux qui nous entourent, de même qu’au concept de « devenir-animal » du philosophe.