Dossier : Éthique animale - Les animaux ont-ils des droits ?
La vie pitoyable de Nim Chimpsky
Publiée par Peter Singer dans The New York Review of Books, « The troubled life of Nim Chimpsky » est une analyse critique du documentaire Project Nim de James Marsh. Le film raconte le traitement subi par un singe enlevé très tôt à sa mère – une « machine reproductrice » dont tous les petits ont servi à des expériences – en vue de lui enseigner la langue des signes américaine. On l’a surnommé Nim Chimpsky, en référence au célèbre linguiste Noam Chomsky, qui a avancé que seuls les humains avaient la faculté du langage. C’est Herbert Terrace, professeur de psychologie à l’Université de Columbia, qui fut derrière ce projet qui a débuté dans les années 1970.
Nim passa entre les mains de plusieurs responsables au cours de ses premières années d’existence. Il se retrouva notamment pris en charge par une ancienne étudiante de Terrace qui prit soin de lui au milieu de ses propres enfants ; on l’habilla, on le nourrit de la même manière que le reste de la famille, on le câlina comme un enfant. Il se retrouva plus tard dans une grande résidence avec des chercheurs qui y vivaient en permanence pour suivre de près son évolution linguistique. Sans jamais être en contact avec d’autres primates, on réussit à lui apprendre près de 120 signes et à communiquer ainsi avec lui. Mais plus ça allait, plus Nim devenait agressif dans ce milieu étranger.
Devant ce comportement et la difficulté grandissante d’amasser des fonds pour le projet, le professeur Terrace décida un jour qu’il avait assez de matériel et arrêta l’expérience. Le film montre une scène douloureuse où Nim est séparé « des siens » pour être placé dans un centre pour primates. Peter Singer rappelle dans son texte que Nim n’avait jamais été en relation avec d’autres singes ni vécu dans une cage avant de se retrouver dans ce centre. Le documentaire raconte aussi le reste de l’histoire de Nim, qui est mort en l’an 2000 dans une réserve faunique.
L’étude des grands singes nous a appris que ce « sont des êtres conscients d’eux-mêmes pouvant vivre des vies riches et profondes en émotions. » Singer rapporte une scène du documentaire qui l’illustre bien : quand Herbert Terrace retourna voir Nim dans ce centre pour primates un an plus tard, celui-ci le reconnût immédiatement et engagea une conversation en langage des signes. Quand le professeur partira, Nim restera immobile et refusera de manger.
Aujourd’hui, plusieurs pays ont interdit ou fortement encadré les expériences scientifiques qui impliquent les grands singes. Le film sur Nim montre que les expériences dont ils sont les cobayes ont des impacts terribles sur ceux-ci. Cette réflexion sur le film de James Marsh, Project Nim, et sur les positions éthiques des primatologues soulève des questions fondamentales : l’expérience humaine est-elle unique, peut-elle se concevoir comme séparée de son environnement, et cet environnement mérite-t-il n’importe quel traitement ? Et enfin, quels seraient les impacts d’une nouvelle conception du monde vivant où les humains, les animaux et même les plantes auraient droit à l’égalité même si leur niveau de complexité est différent et où fixer les limites ou les seuils qui peuvent justifier la consommation des uns par les autres ?