« La révolte est la proposition »

No 042 - déc. 2011 / jan. 2012

Éditorial du no. 42

« La révolte est la proposition »

Le Collectif de la revue À bâbord !

Le 15 octobre, des camps, aujourd’hui démantelés par les autorités municipales, se sont installés à Québec et à Montréal, où a été transformé le square Victoria, renommé avec à propos Place des Peuples, en véritable place publique et en laboratoire politique et démocratique. Face à l’arrogance des milieux financiers et à la supposée impuissance de nos gouvernants qui n’ont de cesse de nous répéter le mantra néolibéral there is no alternative, ces hommes et ces femmes ont fait la preuve, par leur courage et leur détermination, qu’un autre monde est effectivement possible. Face au néolibéralisme qui ne voit que la concurrence pour présider aux rapports entre individus, les indignées donnent un sens pratique au mot solidarité et renouent avec le sens originel de la démocratie qui est la délibération publique sur les enjeux communs.

En rappelant qu’ils sont les 99 %, ces indignées soulèvent l’existence des inégalités sociales et s’inscrivent dans la longue tradition des mouvements populaires rappelant que ceux et celles qu’on veut réduire à néant aspirent à être. La mémoire historique du mouvement semble s’arrêter, pour l’instant, au printemps arabe et au mouvement actuels des indignées d’Espagne et de Grèce, mais elle pourrait s’étendre aux conseils ouvriers de 1905 et 1917 en Russie, à ceux qui ont surgi un peu partout en Europe après la Première Guerre mondiale, aux grévistes de Seattle et de Winnipeg en 1919, aux autogestionnaires espagnols de la guerre civile, au free speech movement des années 1960, à mai 68, au printemps de Prague ou, plus près de nous, à l’altermondialisme et aux mouvements de protestation contre la guerre en Irak.

Rappeler cette tradition ne signifie pas que le mouvement ne fait que répéter des expériences du passé. Il nous rappelle que la politique surgit non pas des institutions, mais du fait que des êtres humains agissent et discutent ensemble et prennent le monde pour enjeu. Mais chacune de ces conversations et de ces actions revêt son caractère propre qui la rend irréductible aux expériences l’ayant précédée. Aujourd’hui, ce qui fait la nouveauté radicale du mouvement réside dans le fait de ne pas formuler de revendications précises, de ne se reconnaître dans aucun chef, ce qui laisse perplexes autorités politiques et médias. Ces derniers, structurés de manière à être incapables de percevoir ce que les indignées dénoncent, rêvent d’une liste claire de revendications par lesquelles l’imprévisibilité du mouvement serait enfin contenue et l’illusion de dialogue réinstaurée. Ce que Occupons Montréal et les autres mouvements similaires à travers le monde proclament est plus fondamental : ÇA SUFFIT !, notre système politique et économique doit changer !

Face à une scène politique qui est devenue le lieu de marchandage entre les divers groupes d’intérêt, les indignées refusent de devenir un groupe d’intérêt ou un lobby, autre façon d’exprimer que la politique devrait concerner l’intérêt public. Dans un monde où les gouvernants forcent le peuple à se plier à des politiques d’austérité plus ou moins amères, les indignées rappellent que le pouvoir ne se réduit pas à la domination et qu’au « pouvoir sur » il importe de substituer le « pouvoir de ». Sans attendre les lendemains qui chantent d’une révolution hypothétique, ces jeunes (et moins jeunes) font l’expérience pratique du bonheur que procurent l’action et la délibération collectives. Certes le processus peut sembler balbutiant ou « amateur », mais à travers les débats initiés, c’est tout un travail de politisation qui se produit, puisqu’ils et elles apprennent à faire de la politique autrement en la faisant.

Les paramètres du Québec de demain ont commencé à s’élaborer sur cette Place des Peuples installée au milieu des tours de la finance locale et mondiale. Face à ce monde vertical, l’horizontalité d’un campement. Face à une société qui assigne à chacune et chacun une place, ce qui ne l’empêche pas d’en exclure plusieurs, ce campement a fait l’expérience d’un monde où les rôles ne sont pas prédéfinis et où la parole circule sans se pétrifier dans la langue de bois. En refusant de se laisser enfermer dans les petites cases de l’assignation sociale, les indignées nous montrent la futilité d’une telle entreprise et donnent à saisir son caractère diviseur et hiérarchique. Aujourd’hui, la plupart des camps sont délogés, mais le mouvement se poursuit sous d’autres formes.

Ce qu’il en adviendra, nous ne pouvons le prédire. Mais il a fait surgir un espoir qu’il faut relayer. Cet espoir n’est pas celui d’un « yes we can » qui remet à un homme providentiel le soin de changer les choses, mais celui d’hommes et de femmes qui entreprennent d’expérimenter collectivement d’autres façons de vivre et d’agir. Cet espoir, c’est celui d’un avenir ouvert qui s’oppose aux horizons bloqués de la crise. C’est pourquoi nous invitons nos lectrices et lecteurs à partager leurs actions futures et à s’y joindre pour respirer l’air de la liberté.

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