No 042 - déc. 2011 / jan. 2012

International

Délires sécuritaires

Après le 11-Septembre...

Christian Brouillard

Les commémorations des attentats du 11 septembre 2001 n’ont pas eu l’éclat qu’on aurait pu imaginer. Il est vrai que la grave crise socioéconomique que traversent les États-Unis et une bonne partie de la planète détourne le regard du passé au profit d’un présent traversé par beaucoup d’incertitudes. Il est vrai aussi que le bilan que l’on peut dresser de ces dix dernières années, en termes de droits démocratiques à travers le monde, ne donne guère de raisons de pavoiser. En adoptant, sous la bannière de la lutte contre le terrorisme, un ensemble de politiques dites sécuritaires, une bonne partie des États de la planète ont ainsi provoqué un recul de la démocratie bien plus que son renforcement.

Détruire la démocratie… au nom de la démocratie

Mary Robinson, ancienne haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, ne mâchait pas ses mots, en 2009, à la suite du dépôt d’un rapport, portant sa signature ainsi que celle de sept autres juristes reconnus internationalement, qui recensait de nombreuses violations commises dans le monde au nom de la lutte anti-terroriste  : «  Pour justifier ces mesures, les gouvernements utilisent le même langage que les dictatures sud-américaines dans les années 1970 et 1980. » Constat sévère qui est confirmé par la recherche minutieuse que Maureen Webb a réalisée et qui a été publiée par les éditions Écosociété en 2010 sous le titre L’illusion sécuritaire [1]. Obsédés par la « sécurité », les États ont constitué de vastes et coûteux réseaux de surveillance, souvent en partenariat avec des entreprises privées, emmagasinant une somme impressionnante d’informations afin de mieux quadriller la vie des citoyens. Écoutes électroniques, contrôle accru d’Internet, fichages biométriques, vidéosurveillance ou élaboration de vastes listes d’individus « suspects » comme la « No-fly list  » constituée par les États-Unis, toutes ces mesures, violant la vie privée, la liberté d’expression ou de circulation, sont présentées comme un volet préventif en vue de cibler les personnes « à risque ».

De la prévention à la répression, il n’y a qu’un pas. À cette masse de renseignements ainsi accumulés et que les États s’échangent entre eux, correspond la mise en place d’une législation d’exception anti-terroriste. La définition du concept de « terrorisme » étant floue, nous ne serons pas surpris d’assister à de larges débordements, des infractions de droit commun pouvant être incluses dans les dispositifs anti-terroristes. Quant au caractère « exceptionnel » de ces lois, Mary Robinson relevait que « Les mesures originellement adoptées à titre temporaire sont devenues permanentes et l’interprétation qui est donnée des notions applicables au terrorisme va souvent bien au-delà de l’objectif visé » (Le piège de l’antiterrorisme et les moyens d’en sortir, Swissinfo, 12 février 2009). Exemple parmi tant d’autres, en septembre 2011, le gouvernement canadien de Stephen Harper entendait réactiver deux mesures de la loi anti-terroriste, celle concernant les détentions administratives et l’autre octroyant le droit à un juge de sommer un témoin de comparaître. Ces clauses avaient été abandonnées en 2007, sous la pression de l’opposition parlementaire. Maintenant que son gouvernement est majoritaire, le premier ministre, sous prétexte que la menace terroriste n’est pas morte, a décidé d’aller de l’avant pour réinstaurer ces clauses.

Au bilan, ces politiques n’ont pas conduit à un monde plus sûr et elles ont justifié nombre de violations des droits humains. Des régimes dictatoriaux, comme celui de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en Égypte ou de Poutine en Russie, ont légitimé leurs politiques répressives sous couvert de la lutte anti-terroriste. Dans les États dits démocratiques, et plus précisément aux États-Unis, la notion de « combattants ennemis » incluse dans le Patriot act a justifié l’usage de la torture, la création de camps d’internement comme celui de Guantanamo et la mise sur pied d’un réseau de transfert illégal de prisonniers d’un pays à un autre [2]. Le cas de Maher Arar, citoyen canadien déporté et torturé en Syrie, illustre bien les dérives des politiques sécuritaires.

Une tendance lourde

Si l’on assiste, depuis dix ans, à une prolifération de ces règles liberticides et à leur mondialisation, il n’en reste pas moins que, à la base, chaque État possédait, dans sa constitution, des règles d’exception. Rappelons l’utilisation, par le gouvernement canadien durant la crise d’octobre 1970, de la Loi sur les mesures de guerre ou, en Italie et en Allemagne de l’ouest, pendant les « années de plomb », de lois d’interdiction professionnelle et la réactivation de certaines législations fascistes.

L’inquiétant dans la période actuelle, marquée par une importante crise économique et l’imposition de mesures d’austérité anti-populaires, c’est la banalisation de cet état « exceptionnel » avec comme conséquence une criminalisation accrue de la dissidence politique, un contrôle de plus en plus serré de l’immigration et une forte intério­risation par les populations des logiques répres­sives. Cependant, malgré ces contraintes, l’émergence du mouvement des indignés et des occupations à travers le monde montre bien que la partie n’est pas encore jouée. Face aux délires sécuri­taires et à la crise, une réponse populaire et démocratique est encore possible.


[1Maureen Webb, L’illusion sécuritaire : fichage, torture… personne n’est à l’abri, Montréal, Écosociété, 2010.

[2Stephen Grey, Ghost Plane, New York, St-Martin’s Press, 2006.

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