La cécité du Conseil du patronat

No 042 - déc. 2011 / jan. 2012

Économie

La cécité du Conseil du patronat

René Gignac, Philippe Hurteau

Pour une deuxième année consécutive, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) a publié, en août, son Bulletin de la prospérité du Québec. Sans grande surprise, le Québec n’y reçoit pas une très bonne note («  C  »). Main-d’œuvre trop coûteuse et inflexible, réglementation tatillonne, environnement d’affaires décourageant et situation des finances publiques incertaine provoqueraient une trop faible croissance du produit intérieur brut (PIB).

Pour le CPQ, prospérité rime avec croissance du PIB. Toutefois, l’assimilation de la prospérité et du PIB dévoile les limites et les biais de la démarche. Que le PIB soit, de l’avis de nombreux récipiendaires du prix d’économie de la Banque de Suède (Kahneman, Solow, Yunus et, plus récemment, Stiglitz et Sen), un piètre indicateur du niveau de vie de la population ne semble pas déranger le Conseil du patronat : il faut, partout et toujours, fournir aux entreprises de meilleures occasions de croissance.

Les limites du PIB

Une telle conception de la prospérité surprend par son simplisme et son manque de rigueur. Si le PIB peut être intéressant pour se donner une idée du volume général de l’activité économique, il se transforme en œillères lorsqu’il sert indicateur unique. Rappelons certaines limites, bien documentées mais pourtant ignorées par le CPQ, du recours unilatéral au PIB [1].

D’abord, le PIB n’effectue aucune distinction entre les dépenses utiles ou celles dites « défensives » ou « réparatrices ». Ainsi, si certaines activités économiques représentent un apport appréciable au bien-être de la population (investissements en éducation, dépenses d’alimentation, en loisirs, etc.), d’autres ne servent qu’à réparer les conséquences négatives d’un désastre naturel (les réinvestissements d’Hydro-Québec à la suite de la crise du verglas de 1998 par exemple) ou d’un accident industriel (les dépenses pour « nettoyer » le Golfe du Mexique lors de la catastrophe de l’été 2010). De manière caricaturale, le rendement social généré par l’embauche d’une centaine d’infirmières spécialisées par l’État québécois et de Scott Gomez par les Canadiens de Montréal sont jugés équivalents à l’aune du PIB.

Au plan environnemental, l’insuffisance de cet indicateur est encore plus frappante. Dans le domaine des ressources naturelles, le PIB rend uniquement compte du revenu qui est tiré chaque année de leur exploitation, mais ne fournit aucune indication quant aux réserves de ces mêmes ressources. Elles peuvent donc s’épuiser dramatiquement sans même que le PIB n’en rende compte dans l’immédiat (l’effondrement des stocks de morue dans les années 1980 par exemple). De plus, les multiples dommages causés à l’environnement par l’augmentation continue de la production et de la consommation (changements climatiques, perte de biodiversité, érosion des berges, pollution agricole, etc.) sont tout simplement ignorés lorsque, comme le CPQ, l’on considère que l’augmentation du PIB est la voie unique vers la prospérité.

Finalement, mentionnons qu’au plan de la redistribution des richesses une augmentation brute du PIB n’est nullement synonyme de prospérité partagée. De 1981 à 2008, le revenu médian après impôt des ménages québécois a diminué de 3,8 %, alors que le PIB par habitant, au cours de la même période, connaissait une progression de 46,1 %. 

Prospérité ou paradis patronal ?

Bref, le CPQ et son bulletin laissent dans l’ombre les lacunes évidentes du modèle de développement fondé sur la croissance du PIB. Pourtant, plusieurs mesures plus complètes existent. Les plus prometteuses ont vu le jour grâce à un récent mouvement international pour définir de nouveaux indicateurs de richesse, initié par l’OCDE en 2007 et auquel participent aujourd’hui la France, le Royaume-Uni, l’Irlande, le Luxem­bourg, l’Aus­tralie et plusieurs autres pays. Outre l’Indice de développement humain (IDH), pensons à l’Indice de progrès véritable (IPV) ou encore au nouvel indice « Vivre mieux » de l’OCDE.

Ces indicateurs ont l’avantage, malgré leurs inévitables imperfections, de nous donner une image du développement plus représentative des conditions de vie des gens. Ils permettent aussi de rendre compte de certaines tendances inquiétantes du développement économique actuel, dont la stagnation du revenu des ménages, le creusement des inégalités et les changements climatiques. En se basant uniquement sur le PIB et ses déterminants, le CPQ offre une image déformée du Québec, collée sur une vision archaïque de la prospérité incapable de répondre aux défis du XXIe siècle.


[1Sur ce sujet ainsi que sur les indicateurs alternatifs au PIB, lire : Renaud Gignac et Philippe Hurteau, Mesurer le progrès social : vers des alternatives au PIB, Montréal, IRIS, 2011.

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