No 042 - déc. 2011 / jan. 2012

Débat politique

La dette anthropophage

Fausse ou véritable menace ?

Claude Vaillancourt

La dette souveraine des États est devenue aujourd’hui un prétexte pour entreprendre des coupes radicales, privatiser, augmenter les tarifs. De nombreux pays se sont endettés parce qu’ils ont renfloué les banques. Parce qu’ils sont à court de revenus, ils doivent réduire drastiquement les financements publics. Et parce qu’ils ne peuvent plus venir au secours d’une population appauvrie, la crise se perpétuera. Mais comment donc mettre fin à ce cycle infernal ?

L’ une des conséquences les plus surprenantes de la crise qui a éclaté en 2008 a été le retour en puissance du Fonds monétaire international (FMI), pleinement soutenu par un G20 qui s’accorde le pouvoir de décider des orientations économiques du monde. Rappelons que le FMI avait été profondément discrédité par les politiques désastreuses qu’il avait soutenues : ses plans d’ajustements structurels, imposés aux pays endettés du Sud, ont laissé les populations à elles-mêmes, sans régler le problème de la dette.

Si bien que le FMI peinait à se trouver de nouveaux clients, se cherchait une nouvelle image, traînait comme un boulet les calamités à la chaîne qu’il avait provoquées. Mais au G20 de Londres 2009, coup de théâtre : il est décidé que sa capacité de prêt serait triplée et portée à 1 000 milliards de dollars ! Quoi qu’il en dise, et malgré ses habits neufs, le FMI n’a pas changé : devant la même maladie de l’endettement, il agit toujours comme un docteur incompétent qui appliquera les mêmes mauvais remèdes accentuant le mal.

Cette fois, le champ d’action du FMI se rapproche du cœur du monde occidental. Il touche principalement la Grèce et le Portugal et entraîne les mêmes mesures contraignantes, celles si vertement dénoncées il y a quelques années. Ses politiques sont appliquées presque partout. L’ampleur de la dette est telle qu’il faut agir immédiatement, nous dit-on, par de vigoureux plans d’austérité. Et les pays se mettent à appliquer d’eux-mêmes les mots d’ordre de toujours du FMI, comme s’il n’existait pas d’alternative, avec zèle et grande rigidité, en dépassant parfois le maître, sans se préoccuper des innombrables victimes de ces politiques.

Ainsi la dette publique des États se présente comme une fatalité. Croqueuse d’homme, d’un appétit insatiable, elle demande qu’on lui sacrifie tout. L’expérience a pourtant montré que plus on la nourrit, plus elle devient obèse et plus elle a faim. Avec bêtise, lâcheté et pitoyable soumission aux vœux des marchés financiers, nos gouvernements n’ont comme projet que d’appliquer contre elle des solutions qui ne fonctionnent pas.

Mais de quelle dette s’agit-il donc ?

La dette apparaît d’autant plus terrifiante qu’elle est incomprise. Ainsi, il devient facile de montrer à quel point elle s’accroît d’une minute à l’autre par des chiffres qui défilent très vite sur un écran. Ou d’annoncer que chaque enfant qui naît est déjà endetté de plusieurs dizaines de milliers de dollars. À la dette correspond une logique implacable : il faut la rembourser en priorité, quoi qu’il arrive. Et le remboursement nécessite de durs sacrifices. Cette dette ne vient d’ailleurs pas de nulle part : c’est que nous avons trop dépensé, nous dit-on. Il nous faut donc devenir plus sages et couper dans nos irresponsables dépenses publiques.

Il importe cependant de plonger à fond dans cette histoire de dette, de voir de quoi elle se compose. Un examen attentif permet une importante démystification et nous met sur la voie de solutions beaucoup plus efficaces que celles déclenchées par un alarmisme souvent à l’avantage des grands de la finance. Ainsi il faut constamment se rappeler les données suivantes :

  • La dette n’est pas provoquée par les dépenses de l’État, qui sont restées stables dans la majorité des pays occidentaux, mais bien par une diminution considérable des revenus par les baisses d’impôts et les fuites fiscales, principalement. La dette se gérait d’ailleurs assez bien jusqu’à ce que les gouvernements soient forcés de sauver les banques d’une faillite qu’elles avaient elles-mêmes provoquée. Rappelons que cette aide a été donnée sans conditions.
  • Il faut savoir qui détient la dette. Appartient-elle majoritairement à des épargnants, par des obligations d’épargne, à taux d’intérêt relativement faibles, ce qui est peu dommageable pour l’économie ? Ou à des étrangers, sur des marchés financiers qui titrisent ces dettes ? Dans ce dernier cas, la dette est hors contrôle : elle devient l’objet de spéculateurs, se renforce par des taux d’intérêts élevés et peut alors croître de façon dramatique.
  • Il faut savoir aussi de quoi se compose cette dette. Est-elle entièrement légitime ? Les prêts ont-ils été faits de façon légale ? Les taux d’intérêt sont-ils raisonnables ? L’agent emprunté a-t-il été utilisé à bon escient, dans l’intérêt de la population ?

Voilà pourquoi, dans de nombreux pays, des organisations demandent un audit citoyen de la dette. C’est-à-dire qu’ils souhaitent analyser les emprunts pour voir dans quelle mesure ceux-ci ont été faits au bénéfice de tous, selon des conditions raisonnables.

L’exercice a été accompli en Équateur. En conséquence, le gouvernement a alors décidé de cesser de rembourser toute dette illégitime ou odieuse, c’est-à-dire contractée par la dictature, entre autres pour réprimer la population. Devant une telle réaction, les marchés se sont inquiétés et les titres de la dette équatorienne ont chuté considérablement. Ce qui a permis au gouvernement de racheter ces titres à bon marché et de s’émanciper d’années de soumission à la dette !

Le Québec, le Canada

Au Québec et au Canada, nous subissons nous aussi de durs plans d’austérité. Pourtant, les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin s’étaient fait les champions du paiement de la dette. Ainsi, avait-on réussi à faire baisser la dette de 68,4 % du PIB en 1994 à 38,7 % en 2004. Tout cela en sabrant dans les programmes sociaux, en puisant dans la caisse de l’assurance-chômage et en profitant d’importants surplus budgétaires. Cette démarche, présentée comme un modèle à travers le monde, se faisait en même temps qu’on nous promettait, après ces années de vaches maigres, des jours meilleurs.

Le dernier rapport financier annuel du Gouvernement du Canada nous apprend que le déficit a augmenté d’environ 50 milliards en 2009-2010. Le ratio de la dette fédérale au produit intérieur brut était de 34 %. Selon l’Institut de la statistique du Québec, au 31 mars 2009, la dette nette de la province s’élevait quant à elle à 42,7 % du PIB. Dans les deux cas, ces taux sont nettement plus faibles que la moyenne des pays du G7, qui s’élève à 69,7 %, selon les estimations du FMI.

Ce même rapport du gouvernement fédéral nous dit que la dette s’est accrue par l’émission d’obligations. En fait, notre État doit principalement à ses propres citoyens. Il ne paie pas des taux d’intérêts élevés et est largement à l’abri des spéculateurs.

Pourtant, les gouvernements canadien et québécois agissent comme s’il y avait panique à bord. Sous le prétexte d’une dette et d’un déficit qui n’ont été ni expliqués ni soigneusement examinés, ils imposent à l’aveuglette des plans d’austérité qui transformeront un faux problème en un vrai. Sans stimulation efficace de l’économie, avec une population étouffée par les augmentations de tarifs à qui l’on demande en plus de consommer, on met en place les conditions d’une stagnation à long terme de l’économie et d’une croissance exponentielle de la dette.

Avec un manque de vision sidérant, emportés par cette mode de privatiser et de sabrer partout que l’on retrouve ailleurs en Occident, nos gouvernements empruntent la voie de la facilité. Ils s’épargnent surtout une réflexion nécessaire qui les mènerait à remettre en cause des dogmes qu’ils appliquent par pur principe, malgré leurs conséquences déplorables.

Les voies alternatives ne manquent pourtant pas. D’abord, procéder à une analyse détaillée de la dette, voir de quoi elle se compose et évaluer ce qu’il faut vraiment rembourser. Puis stimuler l’économie par des mesures qui n’entraînent ni dépenses inconsidérées des ressources, ni consommation aveugle et débridée : en investissant dans les services publics, dans la protection de l’environnement, dans l’économie sociale, dans des projets émancipateurs pour les citoyens.
Pour cela, il faudrait guérir la grande majorité de nos élus de leur aveuglement idéologique. Ce qui se fera – il faut l’espérer – par une démarche qui sera ni longue ni patiente. Sinon, ce sera par une crise encore pire que les précédentes…

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