Dossier : femmes inspirées, femmes inspirantes
Diane Trépanière
Mon amie Diane est... un cow-boy
Un peu fée, un peu sorcière et très cow-boy (!), elle est pour moi l’incarnation de cette puissance née du fait d’assumer sa différence.
Diane Trépanière aime les femmes, presque toutes les femmes. Elle veut que les femmes se sentent belles et prennent leur envol. Cela va au-delà du féminisme. C’est un amour profond et généreux. Vous savez ce que je veux dire : quand on a dépassé le stade du « aime-moi », « reconnais-moi » et qu’on veut vraiment que l’autre se réalise. Elles ne sont pas toutes faciles à aimer, ces femmes avec qui Diane travaille. Elles sont souvent poquées, fuckées, maganées. Elles ne sont pas faciles à approcher non plus. Il faut de la persévérance.
J’ai rencontré Diane en 2004. Elle venait de publier son livre Des pas sur l’ombre. Elle avait fait le tour du Québec en donnant des ateliers d’écriture aux travailleuses dans les maisons d’hébergement pour femmes en difficulté ou femmes violentées. Diane a toujours été fascinée par les intervenantes qui sont des femmes à l’écoute et qui ont du vécu. Elle se pointait avec ses projecteurs diapositives, un écran, un système de son afin de créer une atmosphère propice à l’imaginaire. Ça c’est Diane, toujours à soigner les détails et vouloir créer de la beauté pour accueillir les femmes.
Pour Diane, une femme est un être total et en mouvement. Elle n’adhère pas à cette idée (inventée par les hommes selon elle) d’équilibre entre le yin et le yang. « J’aime la globalité du féminin, autant son émotivité, sa sensibilité que ses différentes forces d’énergie et actions mobilisatrices. Les femmes sont en constante démarche de retrouvaille avec elles-mêmes parce que malheureusement trop peu confiantes en elles. »
Mon amie Diane aime les rituels, elle aime recevoir, créer l’ambiance. Aller souper chez elle, c’est un plaisir pour les yeux ; les aliments sont choisis pour l’harmonie des couleurs, il y a des lumières, une mise en scène. Sa maison est un lieu qui la définit bien. « Il est primordial d’avoir un chez-moi qui reflète qui je suis et les valeurs esthétiques qui me caractérisent. J’ai ce besoin d’harmoniser la matière à ce que je suis intrinsèquement. Ma maison est le premier lieu où l’idée de l’engagement prend tout son sens. »
La fréquenter est incroyablement stimulant, justement parce qu’elle fait arriver les choses. Quand je lui demande ce qui la porte, elle me répond : « Être présente à ce qui est vivant, être proactive. Je ne veux pas subir, il faut avoir foi en ce qu’on croit, avoir du guts, se penser capable de le faire. »
Mon amie Diane a un parcours mystérieux fait de coups de cœur et de coups de tête. Née dans une famille où le destin d’une femme était d’être épouse ou secrétaire (elle a choisi secrétaire !), elle a tout quitté pour suivre aux États-Unis une troupe musicale. Elle a rénové des maisons à la campagne, fait pousser des légumes, vécu presque en autonomie, appris la plomberie. Dans les années 1980, sa mère lui donne en héritage une série de négatifs. Pour voir ces négatifs, Diane étudie la photo et apprend à développer, puis, avec l’héritage en argent reçu à la mort de son père, elle achète des projecteurs diapositives, une caméra, des appareils à effets spéciaux. Elle créé, pour ses 40 ans, un spectacle multimédia présenté à la Foire féministe du livre. Ça s’appelle Cin’émoi et c’est en quelque sorte la revanche de la secrétaire, cette fille à qui on avait jadis refusé l’accès aux études.
Entre 1983 et 1990, elle participe à l’effervescence de la communauté lesbienne. Soucieuse du collectif et de la visibilité lesbienne, elle collabore à la revue photocopiée L’évidente lesbienne et organise des spectacles et des méga party pour lesbiennes. En 1991, avec la collaboration d’Anne Barth, elle réalise la vidéo La nuit verte du parc Labyrinthe. Durant cette même époque, elle poursuit ses expérimentations en photo en faisant notamment des émulsions sur pierre.
C’est en 2000 qu’elle commence à faire du bénévolat à La rue des Femmes, fondée par Léonie Couture, une autre femme cow-boy assez inspirante. Commence alors une grande histoire d’amour entre Diane et cet organisme très particulier qui accueille sans discrimination des femmes parmi les plus rejetées de la société, des femmes parfois très difficiles. Diane donne des ateliers de photos et elle est très présente dans toutes les activités. En 2002 elle initie, avec son amie coiffeuse Nathalie St-Germain, l’événement « Coiffer pour changer le monde ». Chaque année durant une journée, avec l’aide de bénévoles, en collaboration avec La Rue des femmes, Nathalie accueille dans son salon les femmes itinérantes. Elles sont coiffées, maquillées, puis c’est la fête. Diane archive en photos ces rencontres émouvantes. Il en résulte un livre magnifique publié en 2010 aux Éditions du remue-ménage (salut les filles cow-boys !).
En 2006, avec ma compagnie Les Filles électriques, je propose à Diane de collaborer à un projet audacieux intitulé « Les mots appartiennent à tous… et à toutes ». Nous avons publié ensemble deux livres, Écrire et sans pitié, en collaboration avec la maison d’hébergement L’Arrêt-source (2006), puis l’ABCd’art de la rue des Femmes (2007). C’est Diane qui donne les ateliers d’écriture et les livres sont réalisés en synergie avec les intervenantes qui sont elles aussi invitées à participer au processus d’écriture. Cela donne deux ouvrages puissants magnifiquement illustrés et dans lesquels les femmes se reconnaissent. Le lancement de l’ABCd’art a lieu à la SAT, lieu branché situé sur cette Main que les femmes itinérantes connaissent trop bien. C’est magique, certaines femmes viennent lire leurs textes. Diane, dont c’est l’anniversaire ce soir-là, rayonne de voir les participantes aussi vibrantes.
Diane est une femme paradoxale, très impliquée et tournée vers les autres et en même temps secrète, indépendante, solitaire. Elle est toute menue et reconnaissable à sa magnifique chevelure blanche et ses vêtements colorés. Un peu fée, un peu sorcière et très cow-boy (!), elle est pour moi l’incarnation de cette puissance née du fait d’assumer sa différence. Mais quand je lui demande si elle se sent différente, elle a une réponse plutôt humble et détachée. « Je suis ce que je suis. J’ai vraiment l’impression que je me suis mise au monde. Je ne me sens pas exceptionnelle, mais faisant partie de la vie. Mais oui, c’est vrai que j’ai cette énergie proactive qui permet de donner des espaces, de donner la parole. »
Diane Trépanière c’est aussi une amie exceptionnelle et fidèle, avec qui on peut parler de tout et qui aime voir ses amies évoluer et se déployer. Bref, c’est une fille électrique qui m’inspire !