Démolition des services publics

No 057 - déc. 2014 / janv. 2015

Travail

Démolition des services publics

Léa Fontaine

Si, lors de leur campagne, les libéraux prônaient le dialogue et la concertation, il n’en est plus rien aujourd’hui. Bien au contraire, ils coupent à la hache dans les services publics. Les organisations syndicales réagissent et proposent de mener des actions originales, qui pourraient constituer de nouveaux moyens de pression s’ils demeuraient dans les limites de la légalité.

Tant les services que les programmes sociaux passent à la moulinette du plan d’austérité : coupes dans la santé, l’aide sociale, l’éducation, les services de garde et les Carrefours jeunesse emploi ; attaques contre les régimes de retraite ; transformation et centralisation du réseau de la santé et des services sociaux, etc. À titre d’exemple, Couillard et cie imposent à l’Agence de santé et de services sociaux de Montréal de faire face à des coupes atteignant 80 millions de dollars.

L’effrayant ministre des Finances, Carlos Leitão, recommande par ailleurs la sous-traitance notamment par le biais des groupes communautaires. Il est vraiment consternant qu’un ministre prône la privatisation des services publics avec une formule reposant sur les épaules de groupes sous-financés, voire à l’agonie. Selon lui, « [i]l y a énormément d’organismes communautaires qui peuvent livrer des services sociaux. Ça coûte moins cher que s’il s’agit d’un réseau ! » Un véritable cauchemar !

Mise au point juridique

Cela a néanmoins le mérite de nous amener à nous demander pour quelles raisons certains services sont publics. En effet, tout n’a pas vocation à être un service public. L’obtention de ce titre relève d’une véritable philosophie. Quand un service revêt un caractère fondamental, l’État peut décider de le prendre en charge. La plupart du temps, il s’agit de services indispensables à la satisfaction de besoins primaires, qui intéressent la grande majorité de la population. Leur suppression totale entraînerait une profonde perturbation sociale, surtout s’ils sont fournis de manière monopolistique par l’État (lui-même ou par d’autres institutions ou entreprises considérées comme assurant un service public par voie de décret, tel qu’un centre d’accueil de femmes victimes de violence conjugale).

Selon la Commission des relations du travail (CRT), le nombre de travailleuses et travailleurs devant assurer les services essentiels en cas de grève est calculé en fonction du nombre de travailleuses et travailleurs disponibles le jour de la grève. Par exemple, si l’on a affaire à un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHLSD), les services essentiels doivent être assurés au moins à 90 % par «  les salariés qui seraient habituellement en fonction » (art. 111.10 du Code du travail). Si au jour 1 de la grève, seulement 15 personnes sont disponibles pour assurer les services, seule « une personne et demie » sera en grève. Si au jour 2, seulement 7 personnes sont présentes au travail, seule 0,7 % d’une personne pourra exercer son droit de grève ; dans les faits, cette personne ferait grève seulement pour 0,7 % de son temps de travail.

Selon les syndicats, bien souvent le taux de personnel disponible est inférieur au taux de personnel devant assurer les services essentiels. Par exemple, si le personnel disponible ne peut assurer que 70 % des services en temps normal, il est tout simplement impossible matériellement d’assurer plus de 90 % de services essentiels en cas de grève. Selon les syndicats, la CRT ne tiendrait pas compte des effectifs réellement disponibles.

Action syndicale de protestation au CSSS de Laval

Le CSSS de Laval s’est vu imposer des compressions de 12 millions de dollars par le dernier budget gouvernemental, qui ont entraîné la diminution de services indispensables à la population et la suppression de huit postes au service d’urgence de l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé. Dans les hôpitaux, lors du premier jour d’une grève, les services essentiels correspondent à 90 % des services normalement assurés. Or, dans le cas qui nous intéresse, les travailleuses et travailleurs ne peuvent aujourd’hui assurer que 70 % des services attendus.

En guise de protestation, le personnel du CSSS, dont le syndicat est affilié à la CSN, a assuré des services essentiels à hauteur de 90 % du service public. Comment le syndicat s’y prend-il alors qu’il ne dispose que de 70 % du personnel nécessaire ? Concrètement, il fait appel aux salarié·e·s qualifié·e·s libéré·e·s syndicalement pour compléter les équipes de préposé·e·s aux bénéficiaires. La CRT estime que le syndicat n’a pas choisi de faire grève au sens du Code du travail, mais de mener une action concertée de travail visant à assigner des salarié·e·s sur les quarts de travail de jour et de soir, et ce, aux frais du syndicat. Si l’employeur s’objecte à cette pratique, il n’a pas été en mesure de prouver que cette action était vraisemblablement susceptible de causer un préjudice à un service auquel la population a droit. L’action est donc légale. Cependant, elle ne peut pas perdurer sans épuiser les troupes libérées pour activités syndicales qui doivent par ailleurs assurer leur charge de travail habituelle.

Ce mouvement n’a pas été mis en œuvre en raison de l’intervention de la CRT. Outre le fait d’avoir enjoint au syndicat de ne pas recourir à cette mesure, la Commission précise au passage qu’elle n’a pas à évaluer le bien-fondé des décisions patronales en matière de réorganisation du travail, pas plus que de substituer ses décisions à celles de l’employeur ou du ministère de la Santé et des Services sociaux en termes budgétaires ; et ce, même si cela avait des conséquences inévitables sur les services offerts à la population. Le fait de donner prééminence au pouvoir de gérance de l’employeur – qui en l’espèce procède à des congédiements lors d’une réorganisation du travail motivée par des compressions budgétaires – sur le droit de la population au service auquel elle a droit n’est pas sans rappeler certaines actions d’entreprises privées… telles que Wal-Mart et autres Couche-Tard qui font primer leur droit de gérance sur tout autre droit, quitte à flouer la population, et notamment les travailleurs·euses.

Au-delà de cette action originale qui permet d’assurer un service normal à la population, elle imposerait une pression financière sur les épaules du syndicat. Face à l’entêtement gouvernemental à atteindre le déficit zéro en 2016, les syndicats se mobilisent pour défendre les services publics. La mobilisation syndicale doit être massive et plus proactive que jamais. La mobilisation doit aussi plus largement être citoyenne si l’on espère lutter contre le démantèlement de l’État social. À nos casseroles !

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