Dossier : Vivre en démocratie (…)

Présentation du dossier du no 57

Vivre en démocratie autoritaire

Philippe de Grosbois, Philippe Hurteau, Ricardo Peñafiel

Au Québec, tout comme au Canada et ailleurs dans le monde, la démocratie est de plus en plus réduite à ses formes les plus rudimentaires ou à ses pratiques procédurales dont le sens a été systématiquement vidé de tout contenu significatif. Pendant que subsiste un squelette d’État de droit que la doctrine libérale s’entête à vouloir confondre avec la démocratie, les différents mouvements de dissidence et de résistance sont férocement attaqués, révélant du même coup la brutalité d’un virage autoritaire et répressif de moins en moins subtil.

Dans ce dossier, nous proposons de faire l’analyse de ce virage. Pour y arriver, il nous a semblé plus pertinent de prendre un pas de recul par rapport aux cas concrets du Québec et du Canada. Non pas parce qu’il serait futile de mieux saisir les implications du mépris affiché par le gouvernement Harper à l’endroit des institutions parlementaires ou encore que la férocité de lois et règlements québécois anti-manifestations ne commandent pas que l’on s’y attarde. Seulement, les coordonnateurs de ce dossier ont fait le choix de chercher au-delà des boucs émissaires tels que Stephen Harper afin de saisir un phénomène beaucoup plus profond et vaste : le glissement de nos sociétés vers une forme inédite d’autoritarisme.

En fait, nous proposons de revenir sur une fantastique erreur que nous avons commise, à gauche, lorsque nous avons associé un peu rapidement néolibéralisme et démantèlement de l’État. Il serait peut-être plus juste de parler de « recentrage » : pendant que d’un côté on coupe allégrement dans les missions de protection sociale héritées de la période d’après-guerre, de l’autre côté se renforcent les fonctions classiques de l’État. Ce à quoi nous assistons ne relève donc pas vraiment d’une logique de désengagement, mais bien plutôt de « réengagement » qui se structure autour du renforcement de la capacité des États à assurer leur rôle coercitif tout en accompagnant l’approfondissement et l’expansion de l’économie marchande.

Afin d’étudier les impacts réels pour la vie démocratique de cette « révo­lution conservatrice » qui se durcit, nous vous proposons d’explo­rer l’idée même de « démocratie autoritaire », en remontant aux sources théoriques de la tendance hégémonique des élites à présenter la démocratie comme étant quelque chose à modérer afin d’en éviter les excès et la démesure (Breaugh et Peñafiel) –, une idée qui se manifeste avec particulièrement de vigueur depuis la dernière crise économique mondiale (Pineault). Dans ce tour d’horizon, il nous a semblé approprié de mieux comprendre les liens de ce virage autoritaire avec les velléités moralisatrices de la droite religieuse et traditionnaliste (Lacasse) et de suivre la trajectoire de la criminalisation de la contestation et de la militarisation de la police (Dupuis-Déri).

Plusieurs articles du dossier tentent de saisir comment s’articule ce virage autoritaire dans différents lieux, tels qu’en Europe où l’extrême droite connaît une ascension importante (Ancelovici), ou en Amérique latine où les dynamiques de promotion des politiques extractivistes néces­sitent une forte répression de la contestation afin de sécuriser les investissements des multinationales œuvrant dans le secteur minier (Celis). Sur Internet, les opérations policières coordonnées à l’échelle mondiale à l’endroit d’Anonymous illustrent bien les limitations grandissantes à la liberté d’expression sur le réseau (Coleman). Finalement, nous avons cru bon d’inclure dans ce dossier une réflexion plus large sur le sens des développements récents découlant de la lutte complexe des peuples arabes contre les diverses formes d’autoritarisme auxquelles ils sont confrontés (Idir).

Pour conclure, les responsables du dossier ont souhaité finir avec un appel à l’action. La réduction des espaces pour la contestation et le sentiment d’impuissance face aux injustices n’a rien d’obligé ou de nécessaire. Un pouvoir qui se crispe, qui se referme sur lui-même, c’est aussi un pouvoir qui connaît la fragilité de ses fondations. À nous d’exploiter la situation.

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