Mourir dans la dignité...

No 038 - février / mars 2011

Société

Mourir dans la dignité...

D’accord, mais de mort lente

François Pizarro Noël

La commission sur le droit de mourir dans la dignité, après s’être attardée aux recommandations d’experts, en est aux audiences publiques. Les citoyens et organismes défilent massivement devant les commissaires et présentent leurs témoignages, leurs points de vue et opinions, dans les cadres fixés par l’institution sans déroger aux règles établies. Grand soin est pris de ne pas confondre suicide assisté, euthanasie et sédation... le mandat en cas d’inaptitude ou le testament biologique. Mais qu’en est-il de la dignité ?

Selon l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), pour que les personnes meurent dans la dignité, elles doivent être « soulagées dans leur souffrance, considérées comme des personnes à part entière jusqu’à la fin, participant aux décisions liées à leurs soins de fin de vie et aux lieux dans lesquels ils sont offerts » (Mourir dans la dignité – Développer d’abord les soins palliatifs, mémoire déposé par l’OIIQ). Il est saisissant de constater que la totalité des intervenants, témoignant dans la bonne foi la plus désar­mante qui soit, ne remet pratiquement jamais en question les prémisses de la commission. Comment ne pas se questionner sur la société qui se préoccupe de la mort dans la dignité quand la vie digne est encore loin d’être assurée pour tous ?

Certes, on ne peut s’attendre à ce que les professionnels de la santé fassent autre chose que décrier leurs conditions de travail et se lamenter sur les répercussions qu’elles ont sur les patients. Mais les citoyens sont-ils dupes ? Pensent-ils vraiment qu’un débat sur l’encadrement légaliste du « droit à la mort  » et sur le réinvestissement nécessaire dans les soins palliatifs est plus pertinent qu’une enquête publique sur l’industrie de la construction ? Quelques interventions soulignent qu’améliorer les conditions de fin de vie pourrait diminuer la fréquence des dépressions et, par conséquent, les requêtes d’euthanasie ou de suicide assisté... Vivre dans la dignité pour mourir dans la dignité ? Mais si c’est le cas, ce ne sont pas seulement les soins palliatifs ou les conditions de vie dans les CHSLD qu’il faut améliorer, c’est l’ensemble des services sociaux... et la société québécoise en entier.

Mais que fait-on du droit de vivre dans la dignité ?

Les débats actuels sur l’euthanasie comme sur le suicide assisté et la sédation terminale sont des manifestations de la tendance contemporaine à la médicalisation et à la législation de la vie. Ces phénomènes ne sont pas tout à fait nouveaux, mais ils nous sont aujourd’hui présentés comme des urgences. Sans doutes ces questions de vie et de mort sont-elles fondamentales, mais il y a lieu de se poser une série de questions quant aux termes des débats qui font rage. Un traitement légaliste de celles-ci apparaît problématique à plusieurs égards puisqu’il semble que ce soient des préoccupations organisationnelles, corporatives, assurantielles et économiques qui guident et orientent les discussions.

Tout cela laisse une étrange impression. Pourquoi la mort reçoit-elle ce traitement privilégié ? On avance que la réalité de la mort se heurte aux codes d’éthique des professionnels de la santé et que cela rend nécessaire une refonte du cadre légal et organisationnel. Mais n’est-ce pas le cas de la presque totalité des professions «  huma­nistes  » ? Les enseignants ne doivent-ils pas enseigner dans un contexte qui rend impossible leur tâche ? Les travailleurs sociaux ne fonctionnent-ils pas dans un cadre qui rend insoutenable leur travail ? L’inadéquation des ressources avec les définitions de tâches n’est-elle pas la norme ?

Tout ce qui touche à la vie est, dans le contexte actuel, vicié par une logique organisationnelle décalée. Alors pourquoi «  favoriser  » le droit à la mort dans un contexte où c’est toute la vie qui est inhumainement gérée ? Pourquoi devrait-on mourir dans la dignité lorsque la vie digne est allègrement niée par l’organisation politique actuelle ? Au terme d’une vie entière où les individus n’ont pas le choix de leur contexte de vie et dans laquelle la souffrance physique et morale est banalisée, il faudrait mourir dans la dignité ? La souffrance et la perte de dignité ne deviendraient intolérables qu’en phase terminale ? Recouvrer sa dignité à l’aube de la mort serait un baume ? Une mort sur commande, rapide et sans douleur serait l’acte ultime de la dignité individuelle ?

L’autonomie et la liberté individuelle ne seraient-elles maintenant que l’apanage des mourants lesquels, pouvant choisir le moment de leur mort, fourniraient ainsi l’ultime preuve de leur dignité ? De quelle liberté parle-t-on ? Comme le souligne C. Lafontaine, cette liberté semble irrémédiablement liée à un «  accroissement du contrôle et de la dépendance des patients face aux autorités biomédicales  » (La société post-mortelle, Seuil, 2008, p. 205).

Liberté ultime ou asservissement ultime ? La sédation palliative et l’euthanasie «  en douce  » sont déjà largement pratiquées malgré l’absence d’un encadrement pour celles-ci. La question se pose donc aujourd’hui dans une société vieillissante où la plus importante portion des frais engagés en matière de santé le sont dans les dernières années de vie des individus : les assureurs publics et privés ont-ils un intérêt pécuniaire à présenter sous le couvert d’une mort digne tous les moyens d’abréger la vie ?

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