Les plans d’austérité
Une stratégie d’accumulation du capital
Avec la crise économique qui ne veut décidément pas se terminer, il devient de plus en plus difficile de suivre le rythme des différents plans d’austérité imposés aux peuples de la planète. En Europe uniquement, les exemples sont légion. La Grèce, qui annonçait en mars un plan de coupes dans ses dépenses sociales de 4,8 G d’euros, dut majorer son plan initial en élevant l e niveau des compressions à atteindre à 30 G d’euros. Cet automne, le Portugal et l’Irlande sont venus rejoindre le Grèce dans la liste des pays devant se soumettre aux diktats imposant des reculs sociaux. Et, à en croire les oiseaux de malheur, l’Espagne et l’Italie ne sont pas si loin du jour où ils deviendront membres de ce club sélect de pays devant faire prévaloir les prescriptions de l’austérité budgétaire sur les besoins de leur population.
Bien entendu, le Québec n’échappe pas à cette vague. Afin de renouer rapidement avec l’équilibre budgétaire et d’éviter de déplaire aux agences de notation (Fitch Ratings, Moody’s, Standard & Poor’s, etc.), le gouvernement Charest s’est doté de son propre plan de match, le désormais célèbre budget Bachand. Comme en Europe, les Québécoises et les Québécois se voient imposer un triple plan d’austérité : coupes dans les services publics, augmentations des taxes et tarifs et dégradation des conditions salariales (surtout dans le secteur public, mais non exclusivement).
Nous assistons donc à une offensive généralisée de la part des élites politiques et économiques visant la mise en place de mesures antisociales en lieu et place de véritables plans de sortie de crise. L’austérité devient le maître mot devant guider nos choix. Nous aurions longtemps vécu à crédit et il serait maintenant temps d’apprendre à vivre selon nos moyens.
Pourtant, ce discours d’austérité ne semble pas coller à la réalité observée au quotidien. Il y a tout juste deux ans, des centaines de milliards furent distribués aux banques et aux grandes entreprises afin de relancer l’économie, et ce, même si nous traversions une récession d’une rare intensité selon ce qu’en disaient les experts. Aujourd’hui que les entreprises, hier en détresse financière, recommencent à engranger des profits, il faudrait que la population se serre la ceinture ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a là apparence de paradoxe.
Mise en ordre des finances publiques ou politique d’aggravation des inégalités ?
Tâchons de prendre le problème sous un autre angle. Comment, depuis trente ans, évoluent les inégalités de revenus et de quelle manière l’élite économique parvient-elle à s’accaparer une part grandissante de la richesse sociale, privant du même coup les administrations publiques de ressources et accentuant les problèmes de pauvreté ?
Une étude réalisée en partenariat entre l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) et le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) nous montrait récemment que, de 1976 à 2006, les écarts de richesses s’étaient accentués au pays [1].Nous apprenons par cette étude que la part des gains économiques totaux allant au 30 % des plus démunis de la société est passée de 10 % à 7 % de notre richesse globale. À l’inverse, les ménages appartenant au 30 % des plus fortunés ont augmenté leur part de richesse de 6 %, faisant passer de 53 % à 59 % la part de la richesse collective qu’ils s’accaparent.
On constate donc un processus de concentration de la richesse. Ce constat n’est pas nouveau et il n’est pas non plus vraiment surprenant lorsque l’on étudie l’évolution des politiques fiscales, économiques et sociales depuis les années 1980 ainsi que la manière dont le patronat parvient à imposer des concessions à ses employées – souvent sous prétexte de concurrence internationale, de menaces de délocalisations, etc. Une nouvelle étude, encore du CCPA [2], nous démontre encore plus clairement comment une certaine élite économique, profitant de trois décennies de politiques publiques lui étant favorables, parvient à concentrer entre ses mains de plus en plus de richesse et ainsi accroître son pouvoir social et politique.
En fait, ce que nous apprend le CCPA dans son étude, c’est que les fruits de la croissance économique des trente dernières années ont été captés par une infime minorité. Au lieu de servir au financement des missions sociales de l’État, à l’amélioration des conditions de vie des plus démunis et, pourquoi pas, au financement d’une reconversion écologiste de la production industrielle, l’augmentation de notre richesse collective fut détournée par ceux et celles déjà favorisés par le fonctionnement de l’économie de marché.
Le tableau suivant est des plus explicites. On y voit l’évolution de la part de richesse globale détenue par une minorité restreinte. Que l’on prenne comme point de référence les 10 % les plus riches, les 5 %, les 1 %, les 0,1 % ou même les 0,01 %, on arrive toujours au même résultat : la mise en place d’un monde résolument inégalitaire.
Bref, la croissance économique des trente dernières années, en plus d’alourdir notre passif écologique, n’a fait que générer des inégalités tout en dynamisant la constitution d’une caste financière d’une puissance sans précédent.
Les finances publiques sont dans le rouge
Si nous reprenions au début. Un discours s’est développé à l’unisson dans la dernière année au sein des élites financières et politiques du monde occidental. La situation budgétaire des États serait tellement désastreuse, en raison de décennies de laxisme et de dépenses sociales inconsidérées – et non en raison du sauvetage de l’industrie financière en 2008 ! –, que l’heure des choix difficiles serait arrivée. Devant la pression des bailleurs de fonds internationaux, chaque État devrait appliquer des plans de coupures tout en rognant au maximum sur la rémunération des salariées, en augmentant le temps de travail – et son intensité – et en repoussant l’âge de la retraite.
Nous sommes toutefois en mesure de confronter ce discours réactionnaire aux faits : si les États occidentaux ne peuvent équilibrer leurs finances c’est d’abord en raison de la connivence de nos élues avec le milieu des affaires. Cette connivence se manifeste, entre autre, par la défiscalisation des particuliers à revenus élevés et des entreprises sous leur contrôle. Nos États défiscalisent les riches sous prétexte de contribuer à la création de la richesse – par la stimulation des investissements –, mais lorsque cette richesse est effectivement créée, ils refusent d’intervenir pour la redistribuer afin de ne pas décourager les investissements privés. Donc, on ne taxe pas les riches pour ne pas nuire à la création de la richesse et on ne taxe pas la richesse pour ne pas nuire aux investissements. Pour les plus fortunées, il s’agit d’une situation gagnant/gagnant.
Pendant ce temps, les conséquences néfastes des plans d’austérité retomberont sur les épaules de la population pendant que ceux qui ont causé la crise continueront à s’enrichir comme si rien ne s’était passé.
[1] Eve-Lyne Couturier et Bertrand Schepper, Qui s’enrichit, qui s’appauvrit : 1976-2006, IRIS-CCPA, 2010.
[2] Armine Yalnizan, The rise of Canada’s richest 1 %, CCPA, 2010.