Présentation du dossier du no. 38
L’utopie a-t-elle un avenir ?
L’apocalypse a été abordée dans le dossier que nous lui avons consacré à l’été 2009 (no 30). Nous avions alors remarqué que l’apocalypse, centrée sur la crise écologique, était à la mode et que, contrairement à la conception juive et chrétienne, cette fin du monde n’était pas suivie par la création d’un monde nouveau, libéré des tares du précédent.
Un monde nouveau... Pour beaucoup, il s’agit là d’un rêve ou d’une utopie. C’est donc précisément aux visions utopiques, bien dénigrées de nos jours, que nous voulons consacrer ce dossier. Claude Vaillancourt explore ainsi les auteurs du XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles qui, depuis Thomas More, créateur du mot utopie, décrivent des sociétés harmonieuses dont seraient exclus l’individualisme et la soif de l’argent. Diane Lamoureux montre que Charles Fourier (XIXe siècle), peintre d’une société en accord avec les diverses dimensions de la vie amoureuse, peut être vu comme un des précurseurs de la révolution sexuelle et des communes des années 1960.
Or ces auteurs, comme les diverses utopies, ne sont plus à la mode aujourd’hui. Certains les réfutent, affirmant qu’elles conduisent nécessairement à leur contraire, comme l’aurait démontré l’utopie
communiste. Ainsi, Marie-Hélène Bourcier, adepte du « No future », oppose aux utopies l’ici et le maintenant des expériences émancipatrices des minorités queers, tandis que Ricardo Peñafiel affirme que les utopies permettent de dévoiler le caractère contingent de la réalité et donnent sens à une série de révoltes éparses, sauf lorsqu’on tente d’y contraindre le monde comme s’il pouvait être sans contradictions.
Pour sa part, Roméo Bouchard décrit l’utopie d’une société, réconciliée avec la nature, qui succéderait à l’univers régi par l’agrochimie et l’ingénierie du climat évoqué par Karine Peschard. Entre ces deux positions, les auteurEs identifient le plus souvent les utopies à des rêves et à des espoirs, comme Lori Saint-Martin pour qui le féminisme est une utopie qui bouge, qui permet de réaliser le chemin parcouru, tout en appelant à un dépassement.
Toutes les utopies ne présentent pas des lendemains qui chantent. Les utopies néolibérales (Louis Gaudreau), productivistes, technologiques... celles nommées dystopies par Normand Baillargeon, comme les contre-utopies analysées par Christian Brouillard, conduisent au désastre. D’autres, bénéfiques, sont moribondes, comme celle d’une UQAM fondée sur l’autogestion et la cogestion (Jacques Pelletier). Enfin, certaines visions utopiques portées par les mouvements contre-culturels des années 1960, présentées par Christian Brouillard, ont laissé, malgré leur disparition, des traces encore perceptibles aujourd’hui.
Philippe de Grosbois affirme que l’utopie du travail, promue par le capitalisme et le socialisme, est périmée. Inspiré par André Gorz, il propose de remplacer, au centre de la vie, le travail salarié par le « travail pour soi » et les « activités autonomes ». Roger Rashi, dans la foulée de la revue et de la maison d’édition Monthly Review, relie Marx à des préoccupations écologiques. Enfin, Jean-Claude Ravet présente la spiritualité de groupes de chrétiens qui, tels les partisans des théologies de libération, sont animés par un Christ situé au côté des dominés, des exploités et des laissés-pour-compte.
Tout en nous mettant en garde contre un « nous » qui exclurait la singularité et la liberté de l’individu, ce dossier constitue donc un appel au rêve et à l’espoir.