Revue Dissidences
« L’art comme résistance. Éveil politique et engagement des artistes dans les années 1930 »
Dissidences, « L’art comme résistance. Éveil politique et engagement des artistes dans les années 1930 », Lormont, Éditions le Bord de l’eau, vol. 9, octobre 2010, 179 p.
L’idée-force de ce neuvième numéro de Dissidences est de montrer, grâce à l’étude d’archives inédites et à l’analyse d’œuvres et de manifestations artistiques diverses, la pluralité des formes de la résistance et de l’engagement politique à travers les arts dans les années 1930 en Europe. Des régimes infâmes ont exercé leurs contraintes délétères dans l’Allemagne nazie et l’URSS stalinienne, mais aussi et diversement dans l’Italie de Mussolini, dans l’Espagne de Franco, en Tchécos-lovaquie, en Angleterre et en France.
Onze articles font état de résistances par les arts et les idées dans ces différents pays, en peinture, théâtre, cinéma de fiction et documentaire, dans des revues aussi.
Comment, par exemple, s’est exprimé parmi les peintres allemands le refus de l’art nazi, sorte d’eugénisme esthétique, néoclassicisme à saveur ruro-nationaliste ? Un satiriste à tendance anarchiste tel Otto Dix, dont l’art urbain est aux antipodes d’une vision édifiante de la société comme de l’individu, sera vite banni, contraint à ce qu’il a appelé un « exil intérieur », et tourné en dérision lors de la fameuse exposition « Art dégénéré » de 1937, qualifié de bolchévique et d’esprit juif. Ce qui n’a pas empêché Dix d’exprimer son dégoût du nazisme dans des compositions étonnantes et du plus haut intérêt esthétique. Des artistes communistes en revanche, pressés d’édifier l’Éden pour l’Homme nouveau, d’une société sans classes ni conflits, seront mieux tolérés parce qu’ils refusaient, dans leur quête de pureté, de peindre la laideur de leur propre société, bien que s’opposant au régime nazi. Il est frappant de constater que cette conception « progressiste » ne fut pas absolument irréconciliable avec l’art nazi. Dans l’Allemagne de l’Est elle devint même officielle et autoritaire.
Numéro passionnant – qu’on voudrait davantage illustré de reproductions d’œuvres, mais quel luxe ce serait ! – en ce qu’il jette des lumières sur les dissidences artistiques, en montrant que les régimes totalitaires ne sont pas rigoureusement monolithiques, infaillibles dans la communication de leurs délires morbides. D’où l’importance et la portée des résistances. L’exemple du cinéma en URSS illustre le mieux l’ambigüité des mots d’ordre du collectivisme, que des cinéastes ont su déjouer.
Cet ensemble de textes vise à renouveler l’idée qu’on se faisait de la résistance artistique. À certains égards, il permet de mieux saisir comment l’appauvrissement de la liberté et de la pensée s’exerce dans nos démocraties libérales corrompues. De multiples chemins de dissidence sont heureusement ouverts, à travers la critique, le non-conformisme, la pensée inactuelle, le refus d’édifier, l’éducation ainsi que la solidarité des artistes avec les plus démunis. À cet égard, l’invention du cinéma documentaire à Londres, le rôle pédagogique et politique que ses artisans lui confèrent, offre un excellent exemple. Mais attention, fragile. Ces chemins sont toujours menacés de fermeture.