Grève sociale : accentuer la lutte politique contre les Libéraux

No 38 - février / mars 2011

Grève sociale : accentuer la lutte politique contre les Libéraux

René Charest

La grève générale a constitué historiquement un enjeu opposant les partisans du seul recours à la grève insurrectionnelle à ceux qui voulaient conjuguer celle-ci avec une action politique révolutionnaire plus large. Georges Sorel, défenseur de la première orientation, affirmait que la grève générale était suffisante pour renverser le pouvoir. Rosa Luxembourg, au contraire, prétendait que ce moyen devait s’intégrer dans une stratégie politique d’ensemble pour mener à la révolution. Cette divergence fondamentale dans la gauche radicale a ensuite traversé le XIXe siècle et une bonne partie du XXe siècle.

Entre la Première Guerre mondiale et la crise des années 1930, l’Industrial Workers of the World (IWW), centrale syndicale combative, appuyait les conflits ouvriers un peu partout aux États-Unis. C’était en quelque sorte l’âge d’or de la grève générale comme outil de résistance et de lutte ouverte contre le capitalisme. Les militantes de l’IWW anticipaient les luttes en émergence, surgissaient au moment des conflits avec le matériel d’agitation et de propagande nécessaire, tout en cherchant à les radicaliser. On passait ainsi d’un conflit à l’autre dans un parcours de conscientisation révolutionnaire, sans toutefois construire une organisation syndicale structurée. Cette pratique de radicalisation des luttes, souvent conjuguée à la mobilisation des immigrantes, a tenu le coup pendant quelques années. Mais, dans les années 1920, le pire arriva : la répression policière et politique affaiblit considérablement l’IWW et la réduisit à peu de choses. Cette défaite a obligé plusieurs militants à réfléchir à la nécessité de conjuguer l’action syndicale à l’action politique.

La grève dans l’espace québécois

La mémoire du mouvement ouvrier québécois comprend de nombreuses grèves d’une amplitude telle qu’elles ont influencé le cours de l’histoire de cette société après la Deuxième Guerre mondiale. Pensons à Asbestos, Louiseville, Valleyfield... Ces grèves ont été dramatiques pour les travailleurs et les travailleuses du Québec qui ont dû endurer des sacrifices énormes. Mais elles ont permis à la classe ouvrière de s’affirmer en tant que sujet politique dans l’espace public québécois.

Récemment, la Coalition contre la hausse des tarifs et la privatisation des services publics a évoqué, avec raison, la grève générale des travailleurs et des travailleuses du secteur public au Québec en 1972. Cette grève s’inscrivait dans le cadre d’une négociation collective, mais le contenu des revendications, dont le salaire hebdomadaire de 100 $ minimum, avait une connotation sociale forte qui dépassait le cadre restreint de la négociation. De plus, l’emprisonnement des trois dirigeants des centrales syndicales a fait que la grève des syndiqués de l’État s’est étendue partiellement au secteur privé, avec l’occupation de certaines villes, dont Sept-Îles. Cette grève s’est dont transformée, d’une certaine façon, en grève sociale.

Cette radicalisation de la lutte syndicale a été balisée par la politique du deuxième front proposée par Pierre Vadeboncoeur et Marcel Pepin en 1968 : le syndicat ne doit pas défendre le travailleur ou la travailleuse uniquement dans le cadre juridique déterminé par les lois du travail (le premier front) ; le syndicat doit tenir compte de tout le milieu de vie de celles et ceux qu’il veut représenter : le logement, le transport en commun, l’école, etc. (le deuxième front).

Par la suite, les Conseils centraux, dont celui de Montréal dirigé par Michel Chartrand, ont mis en application les propositions du deuxième front, en appuyant la mise en place de comités sur le logement, sur le chômage… qui mèneront à la constitution de Comités d’action politique (CAP) réunissant, sur une base régionale, des militants des trois centrales syndicales. Dans ce contexte, plusieurs militants considéraient dans l’ordre des choses la transformation possible des luttes syndicales en luttes sociales, ce qui se réalisa effectivement en 1972.

Contre la réaction patronale des années récentes : relancer la grève sociale ?

Les capitalistes devaient trouver une manière de détourner le mouvement ouvrier de ses aspirations légitimes. Dans le secteur public, le décret de 1983, la création des Services essentiels, l’adoption de lois spéciales, les Sommets, etc., ont considérablement affaibli le mouvement syndical. Dans le secteur privé, la délocalisation, la sous-traitance, la multiplication du travail atypique, les clauses «  orphelin  », la participation des travailleurs à la gestion, etc., ont miné l’ardeur des syndiquéEs.

Cependant, depuis une dizaine d’années, avec l’extension du néolibéralisme qui réduit les victoires obtenues durant les Trente glorieuses, renaît l’espoir de luttes sociales radicales. Ainsi, dans les prochains mois, il devrait y avoir un débat sur la pertinence de la grève sociale favorisant un élargissement de la lutte contre le néolibéralisme à la sauce québécoise.

Ce mot d’ordre de grève sociale pourrait paraître fantaisiste dans un contexte où le mouvement syndical ne semble pas, pour l’instant, vouloir emprunter cette perspective. Cependant, la Coalition contre la hausse des tarifs pense que dans la conjoncture actuelle, la grève sociale pourrait être un levier important d’une mobilisation contre le budget Bachand de 2010 et celui qui s’en vient en 2011.

N’oublions pas qu’au début du mandat du gouvernement libéral, l’idée de la grève sociale avait été lancée par les directions syndicales pour riposter au projet de réingéniérie de l’État québécois. Dans certains secteurs du mouvement syndical, les mandats de grève sociale avaient reçu une forte adhésion. Cependant la grève sociale ne s’inscrit pas dans un contexte de négociation formel et place les organisations syndicales dans l’illégalité. Pouvons nous refaire aujourd’hui ce débat stratégique alors que nous faisons toujours face au même ennemi ? Les prochains mois nous le diront.

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