Un grand pas en avant

No 038 - février / mars 2011

Cinq ans de Québec Solidaire

Un grand pas en avant

Philippe Boudreau

La naissance de Québec solidaire en février 2006 a modifié le paysage partisan, comblant un espace laissé vacant, au fil du temps, par les autres forces politiques, notamment le Parti québécois. Dès le départ, QS prétendait dépasser de vieilles habitudes et mettait de l’avant le slogan «  faire de la politique autrement  ». Cinq ans plus tard, a-t-il relevé le défi ? Examinons les éléments d’un bilan peut-être précoce et sûrement incomplet.

Parmi les influences idéologiques présentes en 2005, alors que se préparait la fondation de QS, il y avait une tendance importante, la posture citoyenne. S’abreuvant au libéralisme politique et à l’humanisme (le discours sur le bien commun et les idées de Riccardo Petrella étaient en vogue…), cette posture a eu un effet positif  : rompre avec une pratique militante austère, par laquelle l’action de militer était à la fois abnégation, sacrifice et, à la limite, perte de soi. On désirait une action politique de proximité, très accessible, qui place le commun des mortels au centre de tout et qui visiblement n’attend ni sauveur, ni prophète et encore moins le tracé du chemin conduisant à la Terre promise.

En amont, le travail effectué par D’abord solidaires et Option citoyenne, en phase avec plusieurs avancées de la pensée féministe des décennies précédentes, suggérait la nécessité de ce retour à la base. On cherchait une praxis qui valorisait l’individu citoyen, appelé à retrouver sa capacité politique et son intérêt pour la chose publique. D’abord solidaires avait insisté sur l’éducation populaire et la nécessaire repolitisation des gens. Certaines ont pu percevoir QS, à sa fondation, comme la réunion de 4 000 volontés individuelles. Juridiquement, c’était vrai. Et QS opère conformément aux lois québécoises relatives aux partis ; ce sont des associations volontaires de citoyens et citoyennes.

Déjà, de par son origine, QS échappait au pattern classique de création des partis politiques au Québec : le parti de cadres. Selon la classification élaborée par le politologue Maurice Duverger, un tel parti est créé par les experts du monde politique, eux-mêmes issus d’un parti déjà établi depuis longtemps et ayant goûté au pouvoir. Les exemples de partis de cadres sont connus  : Action démocratique du Québec et MSA/PQ créés au terme de scissions au sein du Parti libéral du Québec, Bloc québécois créé à même une scission du Parti conservateur… Une toute autre dynamique se trouve à l’origine de Québec solidaire qui, comme on le sait, est le fruit de la jonction de l’Union des forces progressistes et d’Option citoyenne, elles-mêmes issues de divers courants militants ou citoyens. Dans l’histoire du Québec, il est plutôt rare que ce type de formation survive et connaisse du succès. La relative bonne santé de QS à son cinquième anniversaire de naissance, l’élection d’un premier député solidaire en 2008 et la crédibilité des porte-parole de QS auprès des médias et de la population constituent des acquis significatifs. L’indépendance de QS à l’égard des vieux partis et de la classe politique est aujour-d’hui un gage important de l’originalité de sa contribution et de la fraîcheur de ses analyses.

La part des mouvements sociaux

QS n’est pas issu du boys club que forme l’élite politique nationale. Mais s’il s’en était tenu à cela, à cette collection de volontés féminines et masculines, il serait resté à bien des égards un parti comme les autres. Or, il prétend faire différemment. Si cette affirmation recèle la moindre vérité, ne faut-il pas la chercher du côté de son rapport avec les mouvements sociaux ? N’est-ce pas un trait distinctif majeur ? Mettons de côté la conception libérale-juridique et envisageons Québec solidaire comme une tentative de transposition sur la scène politique de l’action de grands pans des mouvements sociaux. Au minimum, QS est le résultat de la volonté concertée de leaders de ces mouvements, dont des segments importants ont jugé que pour accroître leur pouvoir, ils devaient projeter leur influence sur la scène partisane. Vers 2004, ce choix décisif a été fait, à titre personnel, par des têtes d’affiches des mouvements sociaux québécois. Mais n’a-t-il pas été fait aussi, indirectement, par ces mouvements eux-mêmes, qui ont plus ou moins accepté d’offrir à QS leurs meilleurs éléments ? Au sein de ces mouvements sociaux, il n’y a jamais eu consensus (tant s’en faut) sur la question de l’action politique ; au contraire, chacun d’eux est traversé de profondes divisions à ce sujet. Il s’est néanmoins trouvé des activistes de ces mouvements, souvent les plus en vue, qui se sont dit – et se sont fait dire, par une partie de leur base – que le Québec avait besoin d’une alternative politique de gauche. On pense ici bien sûr au mouvement des femmes, au mouvement communautaire (sans oublier le secteur de l’économie solidaire), mais aussi au mouvement syndical, au mouvement étudiant et au mouvement écologiste.

Nous l’avons dit, à la base de QS, il y a l’UFP et Option citoyenne, qui ont certes joué un rôle déterminant. Mais ce qui donne davantage son souffle à QS, lors de sa naissance, c’est probablement le sentiment de confiance issu des mobilisations exemplaires tenues les années précédentes : la Marche mondiale des femmes en octobre 2000, l’opposition à la mondialisation néolibérale à Québec en avril 2001, les gigantesques manifestations contre l’intervention militaire en Irak en 2003, l’opposition syndicale et populaire au gouvernement Charest le 1er mai 2004 et la mémorable fronde étudiante du printemps 2005. Ces mobilisations étaient l’œuvre de mouvements sociaux, au sein desquels s’est posée la question de l’action partisane, parce que la vigueur de cette agitation populaire appelait un débouché politique.

Dans son discours de victoire électorale prononcé le 8 décembre 2008, Amir Khadir déclarait : « Les leaders du mouvement féministe l’ont rendu possible ce parti-là, cette victoire-là. J’aimerais remercier (…) nos meilleurs alliés, nos alliés sociaux, nos alliés syndicaux. Je pense au Conseil central de Montréal, qui a bravé toutes les difficultés, qui a osé rendre possible un changement, quand il a pris position en notre faveur. » La section montréalaise de la Confédération des syndicats nationaux est le seul organisme nommément identifié par le nouveau député. Doit-on en déduire que le mouvement ouvrier aurait encore quelque chose à offrir ? Qu’en matière d’alternative politique de gauche, il ait encore de la mine dans le crayon ? Le vote dans Mercier, tributaire pour une bonne part de l’implication de plusieurs syndicalistes, laisse croire que oui.

QS est un produit des mouvements sociaux et telle est peut-être sa principale source de légitimité. Cependant, la gauche québécoise est très loin de faire l’unanimité à son sujet. Quels rapports cette formation peut-elle entretenir avec le reste de la gauche ? Depuis 2005-2006, les solidaires ont montré un sens notoire de l’inclusion, sachant rallier autour d’une même bannière une kyrielle de courants. Aujourd’hui, bien que cela soit difficile eu égard au caractère divisif de la question électorale, il est nécessaire pour QS de poursuivre le dialogue avec les autres composantes de la gauche  : les libertaires, les péquistes de gauche (et pas seulement SPQ libre) ainsi que celles et ceux estimant en 2006 qu’en matière d’action partisane «  le fruit n’était pas mûr  ». Ces personnes sont encore très nombreuses aujourd’hui et il appartient à QS, et à d’autres, de trouver des moyens de poursuivre ensemble les luttes sociales par-delà les sensibilités partisanes.

Car QS veut rester ce «  parti des urnes et de la rue  », mû à la fois par le désir de soutenir les batailles de l’heure et de préparer en même temps les prochains rendez-vous électoraux. Si la formation semble avoir relativement bien réussi à ce jour à endosser les luttes du moment et à leur faire écho au meilleur de ses moyens, il reste que la vigilance est requise car la tentation de l’électoralisme, soit de troquer le combat social pour quelques points de plus dans les sondages ou quelques votes de plus dans l’urne, demeure présente.

Un autre défi pourrait être de préparer la base de QS à faire face aux nouvelles conjonctures provoquées par la vie parlementaire et la dynamique partisane. À Québec, le climat politique peut vite devenir instable, compte tenu des soupçons et allégations qui pèsent à l’endroit du régime et de ses bénéficiaires. Et au-delà de la seule survie du gouvernement Charest, l’actualité peut générer diverses situations inattendues. Qui sait quel genre de gestes politiques, voire d’alliances, QS sera appelé à envisager un jour ? Qu’attend-on au juste d’un parti de l’opposition ? Comment rend-il des comptes à sa base et à quels devoirs est-il tenu envers elle ? Ces questions doivent être abordées ouvertement avec les membres, même si à première vue certaines peuvent sembler encore prématurées.

Un autre défi interpelle non pas QS en particulier mais toute la gauche occidentale, qui est actuellement désorientée. L’extrême gauche est pour une large part discréditée, le projet social-démocrate épuisé et presque tous les partis de gauche ayant pris le pouvoir ces dernières décennies ont trahi leur base et viré à droite. Cette phase de transition est marquée par l’absence de modèles. Cela peut être déstabilisant, mais cette disparition des livres de recettes et cette fin des certitudes représentent malgré tout une ouverture. Les vieux schémas ont été abandonnés, il n’y a plus de métarécit, ni d’acteur central ontologiquement investi d’une mission universelle.

Outre le grand paradigme de l’émancipation et de la justice sociale, on doit accepter qu’il n’y ait pas une cause transcendant toutes les autres. Plusieurs horizons de libération coexistent simultanément et s’alimentent l’un l’autre  : féminisme, antiracisme, socialisme... De plus, la question nationale, même si elle n’est pas maintenant à l’avant-scène, demeure une composante essentielle de tout projet de société progressiste au Québec.
Les idées fortes de la gauche ne manquent pas, dont cette liaison qui devient de plus en plus naturelle entre la sensibilité écologiste et la critique du capitalisme, liaison qui semble converger vers la mise en cause du productivisme. L’alter­mondialisme a aussi eu – et a encore – son influence, jusqu’au sein de QS, qui valorise tant le pluralisme que le fonctionnement participatif et qui admet cette horizontalité entre les différentes causes sociales. En parallèle, dans son programme, QS met de l’avant une forte intervention de l’État, sans nécessairement envisager de façon précise quels seront les contre-pouvoirs populaires devant un éventuel gouvernement se réclamant de la gauche. Or, l’horizontalité ne doit-elle pas se vérifier à ce niveau aussi ? Cette question, qui n’a jamais été réglée, rappelle à quel point les enjeux de l’éducation politique et du pouvoir populaire demeurent cruciaux.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème