L’angoisse fiscale

No 050 - été 2013

Économie

L’angoisse fiscale

Une maladie de riches

Philippe Hurteau

Lors des premières semaines du gouvernement péquiste, le Québec a été la scène d’un mélodrame d’une rare intensité. La main sur le cœur, de nombreux représentants et représentantes du monde des affaires sont venus nous entretenir de leur angoisse fiscale créée par les velléités du nouveau gouvernement de mettre en place ses promesses électorales (abolition de la taxe santé, création d’un quatrième palier d’imposition et révision du niveau des redevances minières). Le Québec, comme chacun sait, serait déjà un enfer fiscal, alors pourquoi diable vouloir empirer la situation ? Malheureusement pour ce mythe idéologique des plus tenaces, la situation est tout autre. Voyons-y de plus près.

En février dernier, deux de mes collègues de l’IRIS, Francis Fortier et Simon Tremblay-Pepin, ont publié une note socio-économique qui répond à la question suivante : les QuébécoisEs sont-ils les plus imposées [1] ? Bien que la réponse ne soit pas simple ou univoque (parce qu’elle dépend toujours du contexte des familles ou des individus pris en compte), ce que mes deux comparses ont découvert est assez révélateur. Globalement, la part des revenus d’une personne ou d’un ménage devant être consacrée au paiement des impôts est généralement plus basse au Québec que dans l’échantillon de 12 pays retenus dans l’étude [2].

À des fins de comparaison, deux types de ménages ont été considérés (les célibataires et les couples avec deux enfants) et, dans chaque cas, selon un niveau de revenu disponible variable. Voyons les résultats. Bien entendu, je ne produis ici qu’un résumé extrêmement sommaire ; que les curieux et curieuses se réfèrent directement à la note.

Le Québec fait bonne figure

Dans le cas des célibataires, la charge fiscale exigée des Québécoises s’élève à 17 % du revenu brut pour une personne ayant des revenus de 29 285 $ (soit 67 % du revenu moyen). Ce taux s’élève à 26 % dans le cas d’une personne avec un revenu de 43 710 $ (le revenu moyen au Québec) et à 31 % pour une personne avec des revenus représentant 72 995 $ (167 % du revenu moyen). Dans ces trois cas, les célibataires arrivent respectivement en 2e, 7e et 6e places des contribuables les moins imposés. Les QuébécoisEs célibataires sont donc, en fonction de leur niveau de revenu, soit moins imposées qu’ailleurs, soit en milieu de peloton.

Le cas des familles (deux adultes et deux enfants) est encore plus révélateur. L’impôt à payer d’un ménage dont l’un des membres fait 100 % du revenu moyen et l’autre n’a pas de revenu s’élève à 0 % (1ère place), contre 17 % pour les ménages ayant des revenus totaux équivalant à 133 % (3e place) ou 167 % (3e place) du revenu moyen individuel. Dans le cas d’une famille monoparentale avec deux enfants et avec des revenus représentant 67 % du revenu moyen individuel, on parle même d’une charge fiscale négative de -27 % (1ère place).

L’enfer fiscal de qui au juste ?

La réaction à la publication de cette note de recherche fut immédiate, deux chroniqueurs du journal La Presse (Alain Dubuc et Francis Vailles) s’étant passé le mot pour en attaquer les conclusions. En gros, l’accusation se résume ainsi : l’étude produite par mes collègues ne se serait pas assez attardée sur la situation des Québécoises à hauts revenus (ceux-là mêmes qui sont effectivement pénalisés par la progressivité du régime fiscal québécois), ce qui en discréditerait les conclusions.

Dans l’esprit des chroniqueurs de La Presse, l’affirmation selon laquelle les Québécoises et les Québécois sont les plus imposés devrait être maintenue parce que certains d’entre nous le sont effectivement. Ce qui importerait en fait n’est pas vraiment que pour la majorité des QuébécoisEs (soit les ménages avec enfants ou les ménages à faibles revenus) l’effort fiscal demandé soit moindre qu’ailleurs, mais bien de se construire une représentation de notre effort fiscal collectif en fonction de ce qui est demandé aux 669 528 contribuables ayant des revenus dépassant les 70 000 $.

« C’est de ce groupe dont on parle lorsqu’il est question de forts niveaux d’impôts par rapport aux voisins  », affirme Francis Vailles. Bref, quand on entend à longueur de journée que le Québec est un enfer fiscal, il faudra désormais se rappeler que ce n’est pas nécessairement du Québec de la majorité dont il est question, mais bien de celui d’une tranche de la population représentant 10,8 % des contribuables.


[2Allemagne, Australie, Canada, Danemark, Finlande, France, États-Unis, Italie, Japon, Norvège, Royaume-Uni et Suède. Notons également que la part d’impôt à payer par les Québécoises au gouvernement fédéral est prise en compte.

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