Jérôme Lafond
Brigitte des Colères
Jérôme Lafond, Brigitte des Colères, 2010 ; Brigitte des Colères, l’exterminacoeur(e), 2011 ; Brigitte des Colères, Lady Boucherie, 2012 ; Montréal, Marchand de feuilles.
Il y a des romans qui nous font réfléchir plus qu’un livre de philosophie. Il y a des expressions poétiques qui disent la vérité plus qu’un raisonnement. L’écriture de Jérôme Lafond sait dire l’horreur de la vie avec élégance. La vision que l’on peut avoir de la vie ne sort pas indemne de la lecture de la trilogie Brigitte des colères. Brigitte est une adolescente révoltée qui tente de survivre à sa haine du monde. Comment vivre dans un monde où on vous fait croire que plus ça sent la misère, plus ça sent bon ?
Le premier tome de Brigitte des Colères se déroule à Sainte-Scholastique, là où on pendait autrefois les criminels des Basses-Laurentides. C’est maintenant une ville détruite par l’expropriation où il ne reste plus que la caisse populaire et un dépanneur. C’est dans les champs de maïs de cette région inutilement dévastée que Brigitte va découvrir que le monde est mauvais. Admiratrice des tueurs en série, elle tentera d’être à la hauteur de toute la méchanceté du monde. « Lorsque j’aurai terminé l’édifice de ma vie, j’y mettrai le feu et verrouillerai la porte de l’intérieur. »
Le second tome, sous-titré L’exterminacoeur(e), nous transporte à Saint-Jérôme, la ville où le seul endroit où l’on peut faire son épicerie sans quitter le centre-ville est au Tigre Géant. Brigitte se fait interner à plusieurs reprises dans l’aile psychiatrique de l’hôpital de Saint-Jérôme, où l’on tente sans succès de neutraliser sa géniale haine du monde. « Ce sont ceux qui s’approchent le plus de la vérité qui souvent souffrent le plus. J’ai longtemps hésité à vivre dans la société mangeuse d’hommes. Cette puanteur de la réussite à tout prix qui s’imprègne sur mes vêtements. La pression des autres qui me fait sauter la cervelle. » Elle réussira malgré tout à tomber amoureuse de Béatrice, une étudiante du cégep de Saint-Jérôme qui entend dans sa tête des voix proférer des menaces de mort.
Dans Lady Boucherie, le troisième tome de la série, Brigitte commence enfin à parler de sa haine au passé : « C’est triste, mais à un moment de mon existence, j’ai dû haïr. De cette haine est née la phrase : « Je ne suis pas comme eux » et à la fin de ce parcours, l’estime de soi a pu renaître de ses cendres. » Si elle a appris à vivre avec les autres malgré la haine qui la dévore, les armes, les couteaux et le sang habitent encore ses fantasmes. Devenue critique lucide d’un monde où elle n’aurait jamais dû naître, elle en vient à se demander si des études en philosophie ne seraient pas sa voie. En attendant de savoir, Brigitte sublimera sa pulsion de mort dans la boucherie, initiée à cet art par le musclé et dangereux Tommy.
De la viande et des lesbiennes : à l’image de toute la trilogie, la conclusion de la série Brigitte des Colères dépeint la rage de vivre dans un monde injuste. Avec la puissance de sa prose poétique, Jérôme Lafond élève la vision du monde d’une adolescente enragée au niveau d’une critique lucide de la misère québécoise.