Guatemala : promesses bafouées

No 013 - février / mars 2006

Droits des peuples autochtones

Guatemala : promesses bafouées

par Marc-André Anzueto

Marc-André Anzueto

Entre le 4 et le 9 octobre 2005, le Guatemala fut frappé de plein fouet par l’ouragan Stan. Selon la Coordination nationale pour la prévention des catastrophes (CONRED), l’ouragan causa la mort de 669 personnes, la disparition de 884 individus et détruit 9 136 habitations. Cette catastrophe mit en évidence la situation précaire des populations autochtones et le manque d’attention portée à leur égard par un État qui les a systématiquement négligées, en dépit des Accords de paix signés en 1996 [1]. En fait, les communautés rurales où vivent la majorité de la population autochtone sont les plus marginalisées du pays.

Les Accords de paix de 1996 ont tenté de régler les principaux facteurs ayant été à l’origine du conflit armé au Guatemala. Parmi ceux-ci, il y a : la concentration des ressources entre les mains d’une élite représentant un infime pourcentage de la population, l’inexistence d’espaces démocratiques empêchant l’expression d’une diversité de points de vue (sur le plan politique, social et économique) ainsi que la négation de la diversité ethnique, culturelle et linguistique du pays [2]. Parmi les six accords substantifs des Accords de paix de 1996, il y a notamment celui sur l’identité et les droits des peuples autochtones et celui l’Accord sur les aspects socio-économiques et la situation agraire.

Accord sur l’identité et les droits des peuples autochtones

Les objectifs de cet accord sont les suivants : lutter contre la discrimination historique envers les peuples autochtones, augmenter la participation des autochtones dans toutes les décisions les affectant et reconnaître le caractère multiethnique, pluriculturel et multilingue de la nation guatémaltèque. Le gouvernement guatémaltèque s’engageait à reconnaître l’identité des peuples autochtones, à lutter contre toute forme de discrimination à leur égard et à reconnaître leurs droits culturels, civils, politiques et socio-économiques.

De surcroît, les engagements du gouvernement se révèlent plus ambitieux en ce qui concerne la lutte contre la discrimination. En effet, le gouvernement se soumet à la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Cette convention est fondée sur le respect des cultures et des modes de vie des peuples indigènes et tribaux et sur leur droit à une existence et à un développement continu axés sur les orientations de leur choix [3].

L’accord signale aussi que les peuples autochtones n’ont pas eu l’opportunité de participer aux décisions de la vie politique du Guatemala et c’est pourquoi l’État s’engage à respecter le droit coutumier et à promouvoir les formes d’organisations propres des communautés autochtones. De plus, l’Accord cherche à promouvoir les formes de participation des autochtones, tant sur le plan individuel que collectif, dans les processus de prise de décisions politiques. Enfin, le gouvernement s’engage à solutionner les problèmes de réclamation des terres communales en donnant, notamment, des terres étatiques aux communautés n’en possédant pas et qui en ont besoin pour leur développement.

Dans l’Accord sur les aspects socio-écono-miques et situation agraire, le gouvernement s’engageait spécifiquement à améliorer l’éducation, la santé et l’accès à la terre et à créer une politique nationale de développement rural et des mécanismes de résolution des conflits liés à la propriété. Malgré l’engagement du gouvernement guatémaltèque, tous les éléments mentionnés ci-haut ne reflètent pas encore la réalité des autochtones. Près d’une décennie plus tard, les résultats sont très limités et l’ouragan Stan se charge de sonner l’alarme.

L’ouragan Stan, un rappel de la situation

Les évènements tragiques survenus lors de l’ouragan Stan ont causé d’innombrables dommages aux communautés autochtones. Les coulées de boue meurtrières ont enseveli les villages de Panabaj et Tzanchaj et de puissants glissements de terrain ont défiguré le paysage guatémaltèque. D’après Victor Montejo, un membre du congrès guatémaltèque d’origine maya, plusieurs facteurs ont mené à la destruction des villages : les politiques de déforestation, l’état lamentable de certaines routes et l’isolement de nombreux villages. Mais la négligence à l’endroit des autochtones a grandement contribué à cette tragédie. Selon Montejo, «  il n’y a pas grand intérêt de la part du gouvernement actuel à promouvoir les droits autochtones au Guatemala » [4]. Montejo mentionne que la présidence actuelle a coupé de moitié le budget destiné à la mise sur pied de programmes culturels, sociaux, éducatifs et légaux pour les populations autochtones. Ce dernier constate aussi que seulement neuf personnes d’origine maya occupent l’un des 158 sièges du Congrès (5,7 %), alors que les autochtones forment près de 60 % de la population du Guatemala.

Dans un même ordre d’idées, Diego Esquina, maire de Santiago de Atitlán, ajoute que le gouvernement s’est empressé de répondre aux sinistrés de la partie sud du pays, où d’importantes productions de canne à sucre sont concentrées, et ignora l’ouest du Guatemala qui est majoritairement composé d’autochtones [5]. Le gouvernement ne s’est pas soucié du sort des autochtones et a omis de prévoir une solution pour ceux vivant dans des régions vulnérables à ce type de catastrophe. Le traitement discriminatoire dont sont victimes de nombreux paysans guatémaltèques se reflète aussi dans le cadre de procédures judiciaires concernant la possession de terres leur ayant été usurpées par le passé.

Discrimination de la possession de la terre

La question de la propriété et de la répartition de la terre est d’une importance cruciale pour résoudre un problème concernant une part non négligeable de la population guatémaltèque. Selon Amnistie internationale, la rapidité avec laquelle sont signés les mandats d’expulsions et d’arrestation contre les paysans contraste avec la lenteur du traitement des requêtes faites par des paysans et les délais très stricts dont disposent ces derniers pour faire valoir leurs droits à diverses prestations et indemnisations [6]. Ce déséquilibre relève du traitement discriminatoire en matière de justice. Les paysans qui osent faire des plaintes reçoivent des menaces de mort ou d’autres actes d’intimidation de la part de grands propriétaires terriens ou de personnes à leur solde ou des agents de sécurités privés. De plus, il y a un manque d’interprètes compétents qui parlent les différentes langues autochtones ce qui empêche une participation active dans le processus de justice.

Enfin, l’exploitation des ressources naturelles est toujours l’objet de controverses, en particulier les cas du projet minier Marlin de l’entreprise canado-américaine Glamis Gold et le projet d’exploitation de nickel dans la région d’Izabal par les compagnies canadiennes INCO et Sky Ressources. Les personnes concernées s’inquiètent principalement des répercussions environnementales prévues pour ces mines à ciel ouvert et souterraines et des prétendus bénéfices économiques pour les communautés. De même, ces projets n’ont jamais fait l’objet d’une consultation populaire, violant la Convention 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux ainsi que l’Accord sur l’identité et les droits des peuples autochtones, tous deux ratifiés en 1996 par le Guatemala.

Vue d’ensemble et droit culturel

De nombreuses lacunes persistent dans l’application des Accords de paix de 1996. Les disparités économiques et sociales persistent en particulier chez les populations autochtones et rurales. En effet, la discrimination raciale, l’exclusion sociale et l’extrême pauvreté se poursuivent et nuisent à la jouissance de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Ces problèmes, étant aussi à l’origine du conflit armé, pourraient malheureusement se convertir en futurs conflits sociaux.

Dernier exemple : celui des droits culturels. Pour la majorité de la population indigène du Guatemala, la radio communautaire joue un rôle vital en informant les communautés et en leur donnant des alertes à la santé et à la sécurité de même qu’une plate-forme pour débattre des questions qui les préoccupent. Cependant, même la survie à long terme de la radio communautaire au Guatemala est maintenant en péril car les ondes du pays sont rapidement achetées par de riches stations de radio commerciale qui ne diffusent qu’en espagnol [7]. Un projet de loi a été ébauché en vue de modifier les lois du pays sur la radiodiffusion, de façon à garantir l’accès égal aux ondes radio du pays. Mais, il est embourbé dans le dédale législatif et demeure toujours au stade théorique comme les Accords de paix de 1996.

Le site du Projet Accompagnement Québec-Guatemala (PAQG)


[1Selon la Commission d’éclaircissement historique (CEH), près de 83 % des victimes du conflit armé appartiennent aux communautés mayas et des actes de génocide furent commis contre plusieurs groupes autochtones par l’armée guatémaltèque.

[2Les Accords de paix au Guatemala l’espoir d’un peuple, « une paix négociée : brève histoire du processus de paix », Rapport de la Mission d’observation des Accords de paix au Guatemala 14 au 28 juin 1998, p.10-11.

[3Selon la Convention 169 de l’OIT, les gouvernements doivent consulter les peuples indigènes et tribaux de leurs pays au sujet des projets qui peuvent les concerner.

[4Cité par Juan Avila Hernandez, « Hurricane Stan adds to Mayan’s misery » dans Indian Country Today, 31 octobre 2005.

[5Ibid.

[6Amnistie internationale. Guatemala - Halte aux expulsions ! Pour une véritable politique agraire, seule à même de résoudre les conflits de la terre, 26 août 2005.

[7Selon la législation actuelle, les stations de radio communautaire sont facturées 28 000 $ US pour l’achat d’une largeur de bande, une somme exorbitante pour des stations qui sont pour la plupart animées par des bénévoles et dont le rayon de diffusion est de 3 à 8 kilomètres.

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