Jean-Pierre Terrail (dir.)
L’École en France. Crise, pratiques, perspectives
lu par Normand Baillargeon
Jean-Pierre Terrail (dir.), L’École en France. Crise, pratiques, perspectives, La Dispute, Paris, 2005.
La crise de l’école française... et la nôtre
Du vaste et passionné débat sur l’école ayant cours en France en ce moment, nous n’entendons ici que des échos affaiblis et qu’il n’est de surcroît pas facile de décoder, notamment parce que le vocabulaire utilisé par les protagonistes nous est souvent étranger – IUFM, collège unique, républicains, « pédagogistes », agrégation, pour ne prendre que ces exemples. Mais il ne faut pas s’y tromper : par-delà ces différences sémantiques et lexicales, ce que se joue en France autour de l’éducation ressemble énormément à ce qui se joue ici. Ceux et celles qui en douteraient sont invités à lire le présent ouvrage, qui en fait la preuve éclatante.
Jean-Pierre Terrail, que les lecteurs d’À Bâbord ! connaissent déjà, est ici entouré de sept théoriciens et praticiens qui cherchent, avec lui, à dresser un portrait de l’école en France. C’est un livre important et riche que devraient lire tous ceux et celles qui se préoccupent de la question de l’éducation au Québec.
Au coeur de ce projet, une réflexion sur la fonction de reproduction – sociale, politique et économique – et de sélection jouée par l’école unique. L’ouvrage propose à cette fin un survol historique, politique, social et économique de l’école française du dernier demi-siècle. Les auteurs se penchent notamment sur ce paradoxe que la scolarisation de masse et l’allongement du temps de la scolarisation s’accompagnent d’une persistance des inégalités, en particulier dans l’accès aux diplômes de plus grande valeur.
Pour comprendre ce paradoxe, les auteurs examinent notamment le rôle, absolument fondamental, joué par le parcours scolaire au primaire, où s’accomplit (ou non) l’accès à la culture écrite. « L’école a pour mission première d’assurer l’entrée dans la culture écrite, de conduire le passage de l’oral à l’écrit. Ce cheminement se fait dans le langage et par le langage, en mobilisant les capacités d’abstraction et de raisonnement logique dont la pratique du langage dote tous les êtres humains. Cela n’a rien à voir avec un soi-disant passage du concret à l’abstrait », écrit Terrail (p. 39-40), donnant une des clés de l’ouvrage.
En approfondissant ce thème, les auteurs sont amenés à réfléchir sur les moyens pédagogiques mis en œuvre pour assurer ces apprentissages et abordent bien des thèmes (pédagogies nouvelles, constructivisme, projets, passage du concret à l’abstrait et ainsi de suite) qui sont (hélas !) familiers aux lecteurs du Québec puisque les mêmes méthodes sont ici prônées. On peut craindre qu’elles auront ici les mêmes déplorables résultats qu’elles ont eus en France.
On appréciera tout particulièrement, je pense, dans cet ouvrage incontournable, les chapitres où des praticiennes se penchent, avec finesse, l’une (Stella Baruk) sur l’enseignement des mathématiques, l’autre (Colette Ouzilou) sur l’enseignement de la lecture. Se font entendre en ces pages des sonnettes d’alarme qu’il serait dramatique, pour dire le moins, de refuser d’écouter attentivement.