Conférence de Montréal sur les changements climatiques
Ambiguïté des écologistes
par Philôme Lafrance
À la toute fin de l’année 2005, le Canada accueillait le gratin du monde environnemental – plus de 10 000 déléguées – lors de la 11e Conférence des parties signataires du protocole de Kyoto. Cette rencontre de première importance pour l’avenir de la lutte aux changements climatiques a transporté la question environnementale sous les projecteurs pour une bonne partie de l’automne, mettant le mouvement environnemental face à ses propres paradoxes.
Tout compte fait, le mouvement environnemental peut se targuer d’avoir profité de cet engouement pour remporter plusieurs victoires importantes : l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto ; l’engagement des pays industrialisés à négocier de nouveaux objectifs de réduction avant la fin du présent protocole (2008-2012) ; la mobilisation de dizaines de milliers de personnes pour une grande manifestation dans les rues de Montréal ; et la construction d’un véritable consensus social autour de la nécessité d’agir rapidement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Les grandes organisations non-gouvernementales en environnement (ONGE) du Québec n’ont cessé d’augmenter la pression sur le gouvernement Charest et le ministre Mulcair pour que soit adopté un plan de lutte aux changements climatiques, menaçant même de boycotter les consultations improvisées sur la politique de développement durable. De concert avec leurs homologues canadiennes, elles ont également condamné à maintes reprises le bilan du gouvernement fédéral dans le domaine, notamment en exigeant lors de la Marche mondiale pour le climat que celui-ci prenne un rôle de leader au niveau international, mais surtout qu’il adopte des mesures plus ambitieuses pour surpasser ses engagements dans le cadre du protocole de Kyoto.
De plus, les groupes organisateurs de la marche – une coalition ad hoc regroupant grosso modo la majorité des groupes écologistes québécois et canadiens, ainsi que les principales centrales syndicales et une partie du mouvement étudiant – ont adopté une stratégie qui visait à « montrer que la population exigeait des actions plus concrètes et plus sérieuses de la part de leurs gouvernements et était mobilisée pour faire pression auprès des négociateurs à l’intérieur de la conférence », comme l’explique Patrick Bonin, de la Coalition Québec-vert-Kyoto. Plus spécifiquement, les organisateurs voulaient faire de la question environnementale un enjeu électoral que les négociateurs fédéraux et les partis politiques ne pourraient tout simplement plus ignorer. Alors comment expliquer que ce discours politique ait été largement évacué par les médias dans leur couverture de la marche du 3 décembre 2005 ?
Selon Anne O’Brien, militante au sein de l’Australian Student Environment Network ayant participé comme observatrice à de nombreuses rencontres liées aux mobilisations, « la réflexion était orientée vers la construction de slogans médiatiques plutôt que sur le développement d’une stratégie de contestation des personnes qui détiennent un pouvoir dans les négociations. » Comme le rapportait Le Devoir le 26 novembre dernier, les ONG sont aujourd’hui pleinement intégrées au processus de négociation. O’Brien critique vertement cet état de fait et affirme que « de plusieurs manières, les lobbyistes des ONG et du Sommet de la jeunesse légitimaient les limites du protocole de Kyoto, confinant ainsi le débat à la sphère des négociations technocratiques. » En concentrant leurs énergies sur des objectifs à court terme tels que la sauvegarde du protocole face aux attaques de la délégation états-unienne, au demeurant tout à fait nécessaires, les ONGE ont donc relégué à l’arrière-plan leurs revendications plus radicales telles que réduire les émissions de GES de 60 à 80 % d’ici 2050.
Patrick Bonin ne voit quant à lui rien de paradoxal dans la participation des ONGE aux négociations – elles comptaient pour environ la moitié des déléguées – puisque cela permet à « leurs experts, qui connaissent souvent beaucoup mieux la problématique des changements climatiques que les représentants des gouvernements, d’influencer les négociateurs. » Selon lui, l’accès rapide et direct des ONGE à l’information a également permis d’avoir une excellente couverture médiatique lors de la conférence. À savoir si cette participation a pu nuire à la prise de positions politiques critiques, Patrick Bonin admet que « des décisions stratégiques ont pu être prises mais elles ont porté fruit en bout de ligne. »
Le mouvement environnemental québécois semble prendre pleinement conscience de la nécessité de passer à l’action politique pour obtenir des changements tangibles. Comme l’explique Patrick Bonin, les consultations des différents paliers de gouvernement sur la question des changements climatiques « ont permis de mettre de l’avant des idées, mais leur mise en œuvre a été déficiente. » Sans une forte mobilisation de la population comme dans le cas du Suroît, les effets de la concertation sont limités. Mais la recrudescence des luttes à mener – qu’on pense seulement au prolongement de l’autoroute 25 entre Montréal et Laval – nous rappelle que tant qu’une critique fondamentale ne sera pas mise de l’avant, les changements se limiteront à une régulation des problèmes dans le cadre du système en place. Comme l’ont illustré les mobilisations autour de la conférence de l’ONU sur les changements climatiques, le paradoxe du mouvement environnemental semble donc résider dans le fait que sa perspective somme toute révolutionnaire – la construction d’une société écologiste dans un très court laps de temps – détonne d’avec sa stratégie réformiste qui vise l’atteinte d’objectifs à court terme. Parce que, comme l’affirmaient haut et fort des milliers de personnes le 3 décembre dernier, le temps presse.