Environnement
Anticosti, sauvage et menacée
Une nouvelle campagne d’exploration doit être menée cet été par la société Hydrocarbures Anticosti afin de déterminer si, oui ou non, le sous-sol de l’île d’Anticosti renferme du pétrole de schiste. Depuis trois ans, les compagnies pétrolières font miroiter un potentiel de plusieurs dizaines de milliards de barils. Un chiffre que de nombreux scientifiques ont dénoncé, rappelant qu’il n’existe pour l’heure aucune preuve tangible de la présence de pétrole dans le sous-sol de la perle du Saint-Laurent.
La marche en avant des compagnies pétrolières inquiète les habitant·e·s de l’île autant qu’elle suscite chez les uns de l’espoir, et de la colère chez les autres. Le récent documentaire réalisé par Dominic Champagne, Anticosti : la chasse au pétrole extrême, est venu apporter un éclairage nouveau sur la réalité de ce que vivent au quotidien les Anticostiennes et les Anticostiens. Mais face à leurs attentes, le gouvernement québécois reste droit dans ses bottes. Et l’élection du Parti libéral ne devrait rien changer à la situation, estime Sylvain Archambault, biologiste à la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec, et porte-parole de la Coalition Saint-Laurent. Entretien.
À bâbord ! : Avant d’évoquer la situation actuelle, peut-on faire un bref retour en arrière pour comprendre comment le sous-sol d’Anticosti est devenu un tel enjeu.
Sylvain Archambault : Les premiers forages ont eu lieu au début des années 1960. Une trentaine de forages ont été recensés un peu partout sur Anticosti depuis cette époque. Pendant cette période, de grandes compagnies sont venues explorer, comme Shell et Hydro-Québec, et d’autres moins sérieuses, mais personne n’a rien trouvé. Tout au plus ont-elles découvert des indices de pétrole. Mais un indice de pétrole, ce n’est pas une goutte de pétrole. On connaissait l’existence du shale de Macasty, cette couche géologique située sous Anticosti, très dense et qui, possiblement, contiendrait des hydrocarbures. On savait cela, mais ce n’était pas exploitable, les méthodes d’extraction n’étaient pas au point. Alors tout le monde est reparti bredouille.
Le tournant est intervenu en 2010 quand Pétrolia et Corridor Ressources, deux des sociétés qui détiennent des permis d’exploration sur Anticosti, ont foré trois nouveaux puits. Un puits était sec. Dans le deuxième, c’est un gros débit d’eau de mer qui est sorti. C’est le troisième puits, qui traversait le shale de Macasty, qui a précipité les choses. Les résultats de ce forage ont été analysés par une firme de l’ouest, Sproule. Dans son rapport paru en 2011, la firme laissait entendre, de façon très sommaire et très hypothétique, que si les conditions réunies lors de ce troisième forage se retrouvaient partout sur l’île, il se pourrait que le sous-sol anticostien renferme quelque 40 milliards de barils. Il n’en fallait pas plus. Ce chiffre de 40 milliards s’est retrouvé partout dans les médias. Le fantasme s’est installé. Politicien·ne·s, économistes, journalistes… tous ont vu les milliards de barils se bousculer. Jusqu’à ce qu’on comprenne que, pour le moment, du pétrole à Anticosti, personne n’en a trouvé.
ÀB ! : Mais le mal est fait, d’une certaine manière.
S.A. : Il faut comprendre que l’un des objectifs d’une compagnie pétrolière, c’est d’explorer. Pas forcément de découvrir. Explorer pour faire miroiter. Faire miroiter pour convaincre les actionnaires, d’autres investisseurs, le gouvernement du Québec, d’injecter de nouvelles sommes d’argent. En laissant entendre qu’il pourrait y avoir du pétrole, une compagnie va chercher des subventions gouvernementales, des crédits d’impôt. Un indice de pétrole va faire grimper le cours de son action à la Bourse. Dans le cadre de la campagne actuelle, les compagnies ont été chercher le gouvernement du Québec parce qu’elles n’ont pas réussi à convaincre des compagnies majeures, comme Shell. Le gouvernement Marois a donc décidé d’investir 115 millions de dollars de fonds publics pour aller vérifier s’il est possible d’exploiter du pétrole à Anticosti.
ÀB ! : Alors même que Pauline Marois disait vouloir tourner le dos au pétrole quelques mois avant de devenir première ministre. Cette injection massive de fonds publics peut-elle être remise en cause par les libéraux, de retour au pouvoir ?
S.A. : À mon sens, c’est impossible. L’entente entre le gouvernement du Québec et les compagnies est formalisée, signée devant les avocats et tous les éléments légaux sont en place. La question maintenant est de savoir ce que va faire Philippe Couillard. Il y a eu une petite lueur d’espoir avant l’élection quand il a laissé entendre qu’il était contre l’injection de sommes publiques aussi énormes dans des sociétés privées. Mais l’inquiétude de M. Couillard n’est pas d’ordre social ou environnemental, elle est de niveau économique et, tranquillement, on sent qu’ils vont aller de l’avant et prendre le relais du Parti québécois, mais sans financer le projet. Philippe Couillard a parlé de mettre en place une évaluation environnementale stratégique sur la question pétrolière au Québec. On attend de voir s’il le fera. Mais il devrait tout de même mettre en place quelque chose à Anticosti, pour mesurer quels seraient les impacts d’une exploration de pétrole de schiste sur l’île.
ÀB ! : Il n’existe pas d’étude d’impact environnemental ?
S.A. : Aucune étude d’impact n’est prévue pour cet été ni pour l’année prochaine. Cet été, une quinzaine de forages stratigraphiques doivent être réalisés par les compagnies pétrolières. Ces séances de carottage doivent permettre de cartographier le fameux shale de Macasty. Est-ce qu’il est présent partout dans le sous-sol ? Quelle est sa profondeur, son épaisseur ? Elles vont sans doute chercher à analyser la porosité des roches, voir sur le plan géochimique si le pétrole est là. C’est certain que le carottage n’est pas ce qu’il y a de plus dangereux. Mais, par la suite, le forage avec fracturation dans le contexte d’Anticosti, c’est très risqué.
Les premières fracturations prévues en 2016 doivent permettre de vérifier si on peut faire couler ce pétrole, à quel débit. Mais la présence de calcaire rend le sous-sol très poreux. Il y a de grands phénomènes karstiques, de nombreuses grottes, des lacs dont le débit baisse soudainement pendant l’année, des rivières qui disparaissent et réapparaissent plus loin. Dans ce contexte, les infiltrations d’eau contaminée et de méthane qui découleraient de la fracturation hydraulique seront encore plus problématiques. L’eau douce à Anticosti est très rare, les lacs sont petits et le débit des rivières en été est très faible. Il n’y a par ailleurs aucune infrastructure pour décontaminer l’eau qui proviendrait de la fracturation. Il faudrait donc l’exporter ailleurs. Ce qui est très complexe.
On a également parlé d’utiliser la fracturation au gaz naturel liquéfié, mais c’est une technique qui existe depuis moins d’une dizaine d’années. Les compagnies pétrolières hésitent beaucoup à l’adopter. C’est plus onéreux. Il n’y a pas non plus d’étude technique et scientifique sérieuse pour documenter cette façon de faire, car le procédé est gardé secret. C’est inquiétant. On a également parlé d’utiliser l’eau de mer pour fracturer. Mais tout ça est expérimental. On est en train de jouer aux apprentis sorciers sur Anticosti.
ÀB ! : Est-il encore temps de faire marche arrière et comment y parvenir ?
S.A. : Mener une étude environnementale préalable pourrait déjà faire en sorte qu’on cesse d’être dans le flou et l’expérimentation. C’est essentiel d’évaluer les impacts de l’exploration. Les forages avec fracturation vont être soumis à des certificats d’autorisation du gouvernement du Québec. C’est un genre de petite évaluation environnementale et le ministère va s’assurer que ses normes sont respectées. Mais les carottages, donc les forages de cet été, n’entrent pas dans le cadre du règlement. Cette situation fait d’ailleurs l’objet d’une contestation en cour de la part du Centre québécois de droit de l’environnement. Le CQDE demande que tous les forages, y compris d’exploration, fassent l’objet d’une demande d’autorisation. Si la cour donne raison au CQDE, cela pourrait retarder le début des carottages. Ce serait un frein intéressant, mais un frein temporaire.
Ce que l’on peut espérer, c’est que les campagnes d’exploration n’apportent pas la confirmation de l’étendue du réservoir. Le projet pourrait mourir tout seul. J’ai plus confiance en cela qu’en un gouvernement qui changerait de position. Évidemment, l’idéal serait que le gouvernement dise : l’île d’Anticosti est un trésor national, investissons massivement pour encourager les projets des habitantes et habitants. Ce ne sont d’ailleurs pas les idées qui manquent, même si, par le passé, elles n’ont jamais pu aboutir : transformer et commercialiser la viande de cerf ou développer la pêche au homard, par exemple. Ces initiatives ont avorté à cause de problèmes de réglementation au niveau gouvernemental. Et voilà qu’arrive le pétrole. Depuis 1962, les habitant·e·s ont vu débarquer des foreuses, qui sont reparties, puis revenues. Un nouveau joueur débarque, qui dit lui aussi : on va venir faire des trous. Les habitant·e·s ne disent pas non, mais sont inquiets.
La population est divisée, non pas par une soif de l’avenir pétrolier, mais un peu par dépit. Mais, contrairement à ce qu’ont dit certain·e·s politicien·ne·s, les résidant·e·s ne sont pas favorables à un avenir pétrolier si cette option doit modifier la nature de leur île et leur qualité de vie. À quoi ressemblera Anticosti si on en venait à extraire ces 40 milliards de barils ? Cela impliquerait de creuser plus de 10 000 puits ! Si on veut récolter cette fameuse manne pétrolière, il faut littéralement recouvrir l’île de puits. Ce qui signifie également construire des routes, des torchères qui brûlent le gaz, des usines pour décontaminer l’eau de fracturation… Les possibilités de contamination à court et à long termes sont énormes, l’île serait dévastée.