Économie
Les formes de la dépendance
Depuis la signature du traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et, plus encore, avec la création de l’ALÉNA, il est impossible de comprendre le développement économique québécois sans poser la question de sa dépendance à l’économie globalisée. Paradoxalement, l’accent légitime que le mouvement altermondialiste met sur la critique de l’ouverture des marchés tend à détourner notre attention des dynamiques typiquement canadiennes. Et si les stratégies de développement économique comme le Plan Nord ou l’exploitation gazière et pétrolière, en plus de répondre aux impératifs internationaux, se trouvaient impulsées par les choix du gouvernement fédéral ? Réflexion sur la poursuite de la dépendance du Québec envers le Canada en ce qui concerne la définition des priorités en matière de politique économique.
La gauche québécoise a longtemps compris les structures économiques propres au système fédéral canadien comme relevant de rapports de domination. Pour poser les enjeux de manière simple, disons que nous nous sommes habitués à situer ces rapports comme se déroulant dans la cadre d’une volonté de marginalisation de l’économie québécoise au sein de l’ensemble canadien. Que ce soit lors du transfert de Montréal vers Bay Street du cœur des activités financières ou encore au moment du Pacte de l’auto en 1965, la tendance à privilégier le développement ontarien sur celui du Québec a été une constante des politiques industrielles du gouvernement fédéral tout au long du 20e siècle.
Plus récemment, cette tendance s’est poursuivie avec l’aide apportée par le fédéral afin de faciliter l’exploitation des sables bitumineux albertains. Entre 2006 et 2011, c’est 1,47 G$ en subventions [1] qui fut dépensé, d’une manière ou d’une autre, afin de promouvoir cette activité économique, et ce, malgré le bilan environnemental désastreux qui lui est lié.
Les effets de cette évolution récente des priorités industrielles du gouvernement fédéral ont causé de nombreux torts à d’autres secteurs de l’économie canadienne. Comme le relevait dernièrement Bertrand Schepper et Eve-Lyne Couturier dans une note socio-économique de l’IRIS, l’accent mis sur l’extraction et l’exportation des combustibles fossiles a eu pour effet de doper le dollar canadien, ce qui désavantagea lourdement le secteur manufacturier : « En fait, entre 2001 et 2011, pour chaque emploi créé dans l’industrie pétrolière, il s’est perdu près de 30 emplois dans l’industrie manufacturière [2]. »
Du mal hollandais à la dépendance
Les effets de marginalisation de l’économie québécoise trouvent leur expression la plus récente dans le développement du « mal hollandais » au Canada, soit l’augmentation de la valeur de la monnaie liée à l’exploitation de matières premières qui défavorise les autres secteurs de production. Il n’est pas question ici de faire une analyse supplémentaire de ce mal et de ses conséquences, mais bien de voir de quelle manière les choix de politiques industrielles faits à Ottawa déterminent en grande partie les priorités du gouvernement québécois quand vient le temps d’établir un plan de développement économique. Prenons le Plan Nord par exemple ou encore l’ouverture de l’île d’Anticosti à l’exploitation pétrolière. Ces choix d’orientation stratégique par l’État québécois, soit de miser sur une intensification des investissements dans le domaine de l’industrie primaire, suivent et sont grandement déterminés par les choix préalablement effectués au niveau fédéral.
Bien entendu, la conjoncture des marchés internationaux influe également sur la volonté québécoise de « re-primariser » en partie sa structure économique. Cependant, il est intéressant de constater que ce choix, présenté souvent comme une manière pour le Québec de rester maître de son développement, vise en fait à suivre docilement le modèle canadien. Loin d’une initiative devant mener à une plus grande indépendance économique et énergétique, il s’agit bien plus de se conformer au cadre économique canadien. Dans ce cadre, le Canada et le Québec doivent concentrer leurs activités économiques sur l’extraction et l’exportation de matières premières brutes afin de répondre aux demandes des marchés internationaux.
Le recours accru au secteur primaire comme stratégie de relance économique, en plus d’être dommageable sur le plan environnemental et d’être porteur d’une fragilisation du secteur manufacturier, renforce en fait un double rapport de sujétion. Sujétion d’abord envers les demandes des marchés internationaux – ce qui expose notre économie aux fluctuations de la valeur boursière des différentes ressources –, mais sujétion également à l’endroit du gouvernement fédéral, qui à terme définit selon ses propres priorités les orientations québécoises en matière de politiques industrielles. Pour le Québec, miser sur son secteur primaire comme élément phare d’une politique industrielle de développement, c’est choisir de se soumettre durablement au cadre posé par l’État canadien et le capitalisme mondialisé.
[1] Rapport du commissaire à l’environnement et au développement durable : Une étude du soutien fédéral au secteur des combustibles fossiles, Bureau du vérificateur général du Canada, 2012.
[2] Eve-Lyne Couturier et Bertrand Schepper, Les politiques industrielles au Québec et au Canada, Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), avril 2014.