Paradis fiscaux : la filière canadienne – Barbarde, Caïmans, Bahamas, Nouvelle-Écosse, Ontario…

No 056 - oct. / nov. 2014

Alain Deneault

Paradis fiscaux : la filière canadienne – Barbarde, Caïmans, Bahamas, Nouvelle-Écosse, Ontario…

Claude Vaillancourt

Paradis fiscaux : la filière canadienne – Barbarde, Caïmans, Bahamas, Nouvelle-Écosse, Ontario…, Alain Deneault, Montréal, Écosociété, 2014.

Un débat essentiel

Dans ses essais, Alain Deneault fait preuve d’une remarquable constance. Il situe les paradis fiscaux au centre d’un système tentaculaire qui permet à des individus et à des entreprises d’échapper aux filets de la loi et de l’impôt, et d’enlever toute limite à l’enrichissement, aux dépens des populations qui en souffrent.

Il place au cœur de ce système les compagnies minières qui, en plus de s’enrichir, peuvent se permettre les pires atteintes aux droits de la personne, en toute impunité, ce qu’il a révélé dans Noir Canada puis dans Paradis sous terre. Les paradis fiscaux, la filière canadienne est le fruit attendu de son cheminement intellectuel : ce livre rassemble à la fois ses préoccupations sur le rôle du Canada qui a su attirer les minières à la Bourse de Toronto en leur offrant des conditions d’implantation plus que favorables, et celles concernant les paradis fiscaux de façon générale. Ce qui lui a permis de découvrir le rôle affligeant du Canada dans l’expansion des paradis fiscaux.

Déjà, Nicholas Shaxson, dans Les paradis fiscaux – Enquête sur les ravages de la finance néolibérale, avait exposé comment la Grande-Bretagne a agi pour permettre l’expansion des paradis fiscaux. Et cela contrairement aux États-Unis qui s’en sont longtemps méfiés, avant de faire un virage radical et de les favoriser généreusement à leur tour. En tant qu’ex-colonie britannique, toujours très liée à la métropole, il est logique que le Canada se soit lui aussi intéressé au développement de ce réseau.

Avec la précision qu’on lui connaît, Deneault, assisté d’une équipe de chercheurs, montre comment des Canadiens ont été indispensables à la création de certains des paradis fiscaux les plus actifs, notamment aux Bahamas, aux îles Caïmans et en Jamaïque. Il explique comment nos gouvernements ont su inventer un paradis fiscal pour les Canadiens, soit la Barbade, par un accord sur la « double imposition », qui est en réalité un accord de non-imposition. Comme si ce n’était pas suffisant, notre pays a facilité l’accès à d’autres paradis fiscaux des Caraïbes en concluant des accords d’« échange de renseignements fiscaux » qui, dans la réalité, facilitent encore plus l’usage des paradis fiscaux.

Pendant qu’on agit ainsi, nos gouvernements se préoccupent peu des pertes financières considérables causées par l’utilisation des paradis fiscaux. Et cela alors que nos services publics se dégradent, en raison d’un financement insuffisant. Le Canada s’est d’ailleurs quasiment transformé en paradis fiscal tant l’impôt des entreprises est bas – le plus bas de l’OCDE. Et le gouvernement du Québec, quant à lui, préfère la lutte aux petits fraudeurs et au marché noir plutôt que de s’attaquer aux fuites fiscales causées par les grandes entreprises et les individus riches, que l’on choisit d’ignorer, en se plantant la tête dans le sable.

Dans un passage particulièrement pertinent, Deneault dénonce avec force, en les nommant, les « conseillers du prince », ces intellectuels et universitaires qui trouvent une justification à ce système injuste et qui éclairent les gouvernements de leurs avis complaisants. Cette soumission de représentants du savoir aux intérêts des financiers, leur absence déplorable d’esprit critique et leur position dominante renforcent ce système qu’il devient alors difficile de changer.

Un livre comme celui de Deneault est donc particulièrement nécessaire pour les combattre et pour ramener la notion de justice sociale au centre du débat. Le succès considérable de ce livre sans compromis, solidement documenté et fourmillant d’exemples pour appuyer son propos, est le signe que l’auteur a touché une corde sensible. Il contribue ainsi à lancer un débat essentiel sur les paradis fiscaux, qu’il faudra absolument poursuivre si l’on tient à la bonne santé de nos finances publiques.

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