Dossier : Changements climatiques - L’urgence d’agir
La petite histoire des changements climatiques
L’impact de l’humanité sur le climat et l’importance du climat pour l’humanité prennent des proportions uniques de nos jours. Mais ces préoccupations ne sont pas nouvelles, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Déjà dans l’Antiquité, il était de notoriété publique que certaines perturbations anthropiques comme la déforestation avaient un effet notable sur le climat local en réduisant les précipitations et en favorisant l’augmentation de la température. Des histoires circulaient dans la sagesse populaire, racontant comment des régions entières, jadis luxuriantes, avaient été transformées en véritables déserts à la suite d’un défrichage intensif.
Le développement de la méthode scientifique durant la Renaissance a permis de corroborer ces intuitions par l’étude du bassin méditerranéen. Il fut démontré que l’irrigation, la déforestation et l’agriculture des temps anciens dans cette région avaient considérablement modifié le régime hydrographique, et d’aucuns considéraient plausible que ces activités humaines avaient altéré le climat local.
Le CO2 sous la loupe
La première utilisation du terme « effet de serre » est apparue sous la plume de Jean-Baptiste Joseph Fourier, un physicien français, dès 1824. Celui-ci souhaitait illustrer, par cette analogie, comment les radiations solaires sont retenues par les molécules de gaz présentes dans l’atmosphère. C’est pourquoi ces derniers sont communément appelés gaz à effet de serre (GES). Bien que souvent associé au changement climatique, l’effet de serre est avant tout une faculté normale de notre atmosphère, nécessaire au maintien d’une température relativement stable et équilibrée, suffisamment élevée pour soutenir la vie telle que nous la connaissons [1].
Il n’était bien sûr pas encore question, à l’époque, de réchauffement global du climat, mais l’on considérait toujours que des perturbations anthropiques pouvaient avoir une incidence sur la météo locale. D’aucuns croyaient que la modification du climat entraînait des conséquences positives, cependant. « Le labour amène la pluie », disait-on aux colons envoyés pour cultiver les Prairies.
Il fallut attendre la fin du 19e siècle pour obtenir un portrait global du climat mondial avec, en 1873, la fondation de l’Organisation météorologique internationale (OMI). À cette époque néanmoins, rares étaient ceux qui croyaient encore en la possibilité d’une quelconque influence humaine sur le climat. Un scientifique suédois, Svante Arrhenius, a cependant calculé l’impact sur le climat d’une diminution ou d’une augmentation de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, et ce, dès 1896. Selon ce scientifique, une diminution de moitié du CO2 atmosphérique entraînerait une ère glaciaire, alors qu’un doublement de la concentration de ce GES causerait une augmentation de la température moyenne de l’ordre de 5 à 6 °C.
Au même moment, l’un de ses compatriotes, Arvid Högbom, quantifia les sources naturelles de CO2 rejeté dans l’atmosphère et démontra que la combustion industrielle du charbon entraînerait éventuellement une augmentation de la température mondiale moyenne. Étant donné le faible poids de l’activité industrielle à cette époque, il estimait toutefois que le réchauffement anthropique ne se produirait pas avant des milliers d’années. Ses conclusions ont été rejetées par ses pairs.
Le suivi systématique des concentrations de CO2 dans l’atmosphère commença plus d’un demi-siècle plus tard, soit en 1957, alors que des préoccupations croissantes à ce sujet apparaissaient dans la communauté scientifique. Dix ans après, deux climatologues pionniers de la modélisation du climat, Syukuro Manabe et Richard Wetherald, lançaient l’alerte en prédisant le doublement de la concentration en CO2 et une augmentation globale de la température de l’ordre de 2,5 °C au début du 21e siècle.
Les premières actions concertées
Malgré l’extrême importance de ces informations, ce n’est qu’en 1979 que fut organisée la première Conférence mondiale sur le climat, à Genève. À cette occasion, un programme de recherche climatologique mondial fut lancé, lequel entraîna, en 1988, la création du fameux Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
L’année suivant la création du GIEC avait lieu la seconde conférence mondiale sur le climat, à La Haye, laquelle permit de réunir 149 pays. Ceux-ci s’engagèrent à entreprendre les négociations nécessaires pour mettre en place une convention sur les changements climatiques. Notons qu’à cette occasion, les 12 États de la Communauté économique européenne prirent la résolution de stabiliser leurs émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990 avant l’an 2000.
Le tout premier rapport du GIEC, publié en 1990, fit état de l’impact des activités humaines sur le climat, soulignant notamment que les émissions de GES d’origine humaine augmentent sensiblement l’effet de serre naturel et contribuent au réchauffement climatique. Ce rapport présentait quatre scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, en fonction des actions prises – ou pas – par les différents gouvernements, entraînant un réchauffement moyen variant entre 1 et 3 °C selon le cas. Les rapports subséquents du GIEC, publiés en 1995, 2001, 2007 et 2013, présentèrent des conclusions toujours plus alarmantes d’une fois à l’autre.
Le premier Sommet de la Terre, tenu à Rio de Janeiro en 1992, amorça la période de signature de la Convention-cadre sur les changements climatiques. Cette entente a été ratifiée à ce jour par 189 pays. Trois grands principes y sont reconnus : le principe de précaution, le principe des responsabilités communes mais différenciées et le principe du droit au développement.
En 1995, lors de la première Conférence des Parties à la Convention sur le climat, le principe des quotas d’émissions de GES fut adopté. Lors de la seconde conférence, à Genève en 1996, les parties s’engagèrent à fixer des objectifs de réduction des GES chiffrés et légalement contraignants. Lors du deuxième Sommet de la Terre, tenu à New York en 1997, des différends commencèrent cependant à apparaître entre les États-Unis et l’Europe sur la façon de lutter contre les changements climatiques.
La même année, la troisième Conférence des Nations unies sur les changements climatiques déboucha sur le Protocole de Kyoto, un ajout à la Convention-cadre fait par les parties, dans la ville du même nom. Les pays s’engagèrent alors à réduire, entre 2008 et 2012, leurs émissions de GES de 5,2 % en moyenne sous le niveau de 1990. Les États-Unis, à la tête d’un groupe de pays industrialisés, commencèrent cependant à faire pression pour que des mécanismes de flexibilité soient ajoutés au protocole, permettant aux pays de rencontrer leurs objectifs non pas en réduisant leurs émissions, mais en finançant des réductions à l’étranger.
Dissensions dans les rangs
Lors des conférences subséquentes, la mésentente entre les États-Unis et l’Europe s’intensifia. L’opposition fut aussi farouche entre les pays industrialisés, désireux de faire porter le fardeau de la lutte aux GES sur l’ensemble de la communauté internationale, et les pays en développement, qui refusaient d’hypothéquer l’économie de leur nation pour réparer les torts causés par les premiers. En 2001, le président George W. Bush affirma son opposition au Protocole de Kyoto et annonça que les États-Unis renonçaient dorénavant à limiter leurs émissions de GES.
Le Protocole de Kyoto prend tout de même effet en 2005 après avoir été ratifié par 141 pays. Les États-Unis et l’Australie, qui comptent à eux seuls pour le tiers des émissions de GES à l’échelle mondiale, n’ont pas ratifié le protocole malgré l’ajout des mécanismes de flexibilité qu’ils avaient exigés. En 2005, lors de la première rencontre des signataires du Protocole à Montréal, 182 pays sur 192 l’avaient ratifié ou approuvé.
Les États-Unis font toujours bande à part, à la tête d’un groupe de pays dits des « économies majeures », pour concurrencer les négociations qui ont lieu sous l’égide de l’ONU. Dans son communiqué publié en 2006, ce groupe mentionne que la lutte contre le réchauffement climatique ne doit pas freiner la croissance économique, et que la plus grosse partie de la lutte contre le réchauffement climatique reviendra au secteur privé.
Les conférences subséquentes, soit celles de Bali (2007), Poznań (2008), Copenhague (2009) et Cancún (2010), ont toutes plus ou moins affaibli les engagements internationaux. En effet, il est effarant de constater qu’au fil de temps, les accords sont de moins en moins contraignants, de moins en moins chiffrés et opèrent un glissement vers l’écoblanchiment de l’économie et l’adaptation aux changements climatiques plutôt que leur prévention.
À la conférence de Durban (2011), le Canada a renié officiellement son engagement en faveur du Protocole de Kyoto, causant un tollé en raison, entres autres, de la déclaration de Stephen Harper selon laquelle sa ratification avait été une erreur. À Doha (2012), une lueur d’espoir ressurgit cependant lorsque les pays reconduisirent le Protocole de Kyoto jusqu’en 2020 et s’engagèrent à mettre en place « un protocole, un autre instrument juridique ou un accord ayant force juridique » lors de la conférence qui aura lieu en 2015 à Paris.
La conférence de Varsovie (2013) a néanmoins donné lieu à des affrontements importants entre les pays industrialisés, d’une part, et les pays émergents de l’autre. Un accord, constituant une feuille de route pour atteindre les objectifs de la conférence de Paris, a été conclu in extremis. Il est à prévoir que la conférence qui se tiendra à Lima en décembre prochain donnera également du fil à retordre aux négociateurs et négociatrices.
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Les changements climatiques pourraient bien constituer le plus grand défi que l’humanité aura à surmonter, toutes époques confondues. La communauté scientifique l’affirme : il est minuit moins une. Nos politicien·ne·s sauront-ils laisser de côté l’intérêt économique à courte vue de quelques-uns pour travailler enfin en faveur de la sauvegarde de l’humanité ? Seule une pression populaire jamais vue auparavant pourrait les pousser à le faire.
[1] Pour plus de détails, voir « La science des changements climatiques pour les nuls » écrit par Normand Baillargeon dans ce même dossier.