Banques canadiennes et paradis fiscaux
Fraudeuses du fisc
En plus d’œuvrer au Canada, il faut savoir que les banques canadiennes sont également présentes dans de nombreux autres pays. Outre les États-Unis et le Royaume-Uni, elles se retrouvent au sein de plusieurs petits pays que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) considère… comme des paradis fiscaux ! C’est à cet aspect qu’une récente étude de la Chaire d’études socio-économiques (CESE) de l’UQAM [1] s’est attardée, c’est-à-dire aux répercussions que la présence des banques canadiennes dans ces endroits ont sur les recettes fiscales de nos gouvernements. Cette étude a donc quantifié les montants d’impôts sur le revenu des sociétés que les principales banques canadiennes ne versent pas aux fiscs canadien et québécois, puisqu’elles ont pignon sur rue dans des pays où l’imposition du profit est quasi inexistante.
Si les banques canadiennes affichaient un taux d’imposition officiel de 35 % en 2007, la réalité est tout autre. En effet, et selon les chiffres présentés au sein des états financiers des grandes banques (soit la Banque Scotia, la Banque TD, la Banque CIBC, la Banque de Montréal et la Banque Royale), aucune de celles-ci n’a versé en impôt sur le revenu ce même pourcentage de son bénéfice comptable. Les montants effectivement calculés comme charge d’impôt de l’année 2007 oscillent même entre 8 % et 20 % du bénéfice annuel des banques, ce qui diffère nettement du 35 % annoncé. À titre d’exemple, la Banque de Montréal a, dans les faits, enregistré une charge d’impôt équivalant à 8 % de son bénéfice comptable, soit un écart de 27 points de pourcentage avec son taux officiel de 35 %. Pourquoi cet écart entre le taux officiel et le taux effectif ? La réponse à cette question se trouve enfouie dans les notes qui accompagnent les états financiers que toute entreprise faisant appel à l’épargne doit rendre publics. L’entreprise canadienne possédant des filiales à l’étranger peut réduire son taux d’imposition quand ces dernières sont situées dans des pays où le taux d’imposition est inférieur à celui du Canada. En outre, l’entreprise dont une bonne partie des activités d’exploitation est située dans un pays où le taux d’imposition est moindre que celui en vigueur au Canada verra son taux d’imposition officiel diminué, dû à la moindre imposition des profits engendrés à l’extérieur de notre pays. Et c’est ce que révèle l’exemple des banques canadiennes, présentes dans des pays ayant un taux d’imposition moindre, alors que la majeure partie de leur clientèle se situe au Canada. Grâce à leur présence à l’étranger, les banques canadiennes ont pu éviter de payer au fisc rien de moins que 16 milliards en 15 ans.
Légitimité douteuse
La question est digne d’être posée : c’est grâce à la présence de filiales dans quels pays que se sont effectuées ces économies d’impôt ? Selon l’étude de la CESE, cet évitement fiscal n’a pu se faire à l’aide des filiales états-uniennes et anglaises des banques canadiennes, car leurs taux d’imposition en vigueur en 2007 sont égaux ou supérieurs au taux canadien. Par exemple, la banque états-unienne Bank of America était assujettie à un taux de 35 %, soit le même taux que pour une entreprise oeuvrant au Canada. En outre, les filiales des banques canadiennes présentes aux États-Unis ne font pas profiter leur société mère d’un taux imposition inférieur.
C’est donc dire que les 16 milliards d’économies fiscales faites par les banques ont été réalisées par leurs filiales d’autres pays, que l’on retrouve dans le tableau précédent. Il est à noter que cette liste est extraite des rapports annuels publics des banques pour l’année 2007.
L’étude de la CESE démontre ainsi que les cinq plus grandes banques canadiennes comptent au minimum 89 filiales officielles dans les paradis fiscaux, tel que mentionné dans leur rapport annuel 2007. C’est par ces filiales installées dans ces pays que les grandes banques canadiennes ont pu abaisser radicalement leur taux d’imposition et ainsi éluder 16 milliards au fisc sur une période de 15 ans.
Il existe de nombreux accords fiscaux entre différents pays et il est vrai que ceux-ci sont fort utiles sous plusieurs aspects. Cependant, il est inadmissible que la présence de banques dans des pays, généralement de moins de 100 000 habitants, permette à ces dernières de réduire considérablement leur charge d’impôt au Canada, surtout quand la majorité de leur activité commerciale est réalisée au Canada.
En 1993, les cinq plus grandes banques canadiennes avaient détourné 302 millions $ dans les paradis fiscaux et 15 ans plus tard, en 2007, elles ont amplifié considérablement cette fuite d’impôts sur le revenu par une sortie d’impôts de 2,4 milliards $. Il s’agit ici d’une augmentation de 2,1 milliards $ ou de 700 %. Loin de se résorber, la situation s’hypertrophie chaque année. Il faut mettre fin à l’évasion fiscale généralisée dans les paradis fiscaux en interdisant la présence de nos banques dans ces endroits.
Fraude généralisée
L’évasion dans les paradis fiscaux représente annuellement un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars pour nos gouvernements et met en péril la sécurité sociale du pays ainsi que le maintien des programmes sociaux qui s’effritent continuellement, faute de fonds. Chaque année, les Vérificateurs généraux du Canada et du Québec signalent cette fraude généralisée dans leur rapport annuel sans que les gouvernements agissent sur ce phénomène qui prive l’État de recettes importantes et surtout vitales pour le pays. Que les banques aient réussi, au cours des 15 dernières années (1993-2007), à éluder aux fiscs canadiens et provinciaux un montant aussi exorbitant que 16 milliards $ grâce au stratagème des filiales étrangères est inacceptable, mais surtout immoral… Il ne s’agit ici de surtaxer personne, mais que chacun le soit équitablement, en vertu des principes d’équité et de justice dont le Canada et le Québec se sont dotés.
[1] Les banques canadiennes et l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux : 16 milliards de dollars d’impôts éludés, www.cese.uqam.ca