International
Vers un antiracisme de plus en plus progressiste
S’agissant des « immigrants », les débats sur l’antiracisme et le racisme s’en tiennent généralement aux discours à connotation raciste et sur les attitudes racistes, ou encore sur le vote d’une droite nationaliste et frileuse, ce qui a pour résultat de faire l’impasse sur un débat important relatif à l’immigration : le fait que les immigrés sont, dans la réalité, soumis et confrontés aux lois du fonctionnement les plus ordinaires de ce qu’il conviendrait d’appeler l’espace social au niveau à la fois national et mondial, qui tendent à reproduire – pour le dire dans la jargon des sociologues – « la structure des différences de dotation initiale ». Moins dotés au niveau du capital économique, social et culturel, la majorité des migrants possèdent un capital symbolique négatif, lequel est lié à l’état de stigmatisation qui les caractérise assez souvent. Cela nous amène à dire que les migrants participent d’un procès de discrimination structurale qui n’a pas du tout besoin d’une quelconque assise légale consciente pour se déployer.
En ce sens, il parait politiquement limité de s’attarder uniquement sur la notion de « racisme » telle qu’elle se donne à voir sur le plan du discours, l’important est dans ce cas de rendre plus manifestes les conditions sociales de production de rapports sociaux racialisés. On pourra voir ainsi un peu plus clair dans l’hétéroclite registre « antiraciste ». Ainsi, nous estimons – pour ce qui est de nos sociétés capitalistes avancées – que le racisme est en grande partie tributaire du phénomène de l’intensification de plus en plus accrue de la concurrence au sein des classes populaires, sur le registre du travail et de l’emploi. Sans doute que ce jeu concurrentiel se superpose aussi au niveau de l’école, de la protection sociale et des services publics. Faut-il pour autant faire preuve de mansuétude à l’égard du discours raciste ? Loin s’en faut. Il apparaît toutefois évident que la prééminence que prend la lutte au seul discours raciste, laquelle l’expurge trop souvent de ses soubassements sociopolitiques, s’explique en grande partie par l’éclipse des acteurs sociaux et politiques qui censuraient l’expression de cette forme de ressentiment social qu’est le racisme : on pense ici à la délégitimation du mouvement ouvrier ou même de la notion universalisante de service public. En ce sens, la doxa et les politiques néolibérales ne font que renforcer les conditions d’émergence de ces formes de discriminations structurales à l’origine du ressentiment racial.
Devant une telle mise à plat de ce qui préside à la solidarité sociale et à la résistance collective, le discours raciste prend souvent la forme d’exutoire, voire de formes de réactions apolitiques. On pourrait même dire qu’il s’agit de réponses culturalistes à des enjeux politiques appelant une analyse de nature anti-systémique : c’est-à-dire offrir des réponses à même d’atténuer les pratiques sociales et les représentations à la base de la reproduction de rapports sociaux inégalitaires. Comme nous l’enseignent nombre de sociologues, le problème dans ce cas n’est pas seulement la pauvreté et l’inégalité, ni même l’accentuation du nombre de personnes qui en sont affectées, mais surtout le fait que ces inégalités sociales se traduisent par la concentration de pauvres dans un même espace. De plus en plus, les pauvres vivent entre eux. C’est un phénomène relativement nouveau. Ces espaces sont produits à partir d’un double mécanisme : l’existence de populations au chômage ou possédant de faibles revenus et l’existence de populations dont la présence se caractérise par une sorte d’extériorité à la « société d’accueil » ou à la société nationale. Et voilà que les populations qui cumulent souvent ces deux traits sont en gros les mêmes : ce sont celles que l’on qualifie « d’immigrées » ou « issues de l’immigration ».
Ce sont là autant de phénomènes qui doivent être pris en considération par toute stratégie de lutte au racisme. Malheureusement, toutes ces dimensions de la réalité de l’immigration sont occultées par le discours dominant, pour lequel l’immigration crée des problèmes qui doivent trouver leur réponse par des mesures qui généralement ont pour particularité d’être encore plus hostiles à l’immigration sous toutes ses formes.
Devant de tels défis intellectuels, les acteurs œuvrant dans la lutte au phénomène racial sont hélas largement captifs de débats à forte teneur identitaire qui permettent très difficilement de penser ces conditions sociales à l’origine du phénomène racial. C’est donc largement les assises d’une réponse résolument politique au racisme qui s’en trouvent brouillées : la capacité d’incarner le politique, entendu au sens d’instance de production de normes, de principes et de valeurs ; le politique comme acte de puissance ou de production d’effets visibles sur la réalité sociale. En ce sens, on peut dire qu’il est impérieux de passer d’une politique d’énonciation d’un antiracisme à une politique de sa réalisation effective.