L’impôt et les citoyens démunis
Monter vers le bas
En 2003, dans un carrefour de savoirs, des personnes en situation de pauvreté ont comparé la société à un palier d’où partiraient un escalier roulant qui monte et un escalier roulant qui descend. « Vivre la pauvreté, ont-elles dit, c’est comme monter un escalier roulant qui descend ; au lieu de vous acharner à nous faire monter des escaliers roulants qui descendent, occupez-vous donc des escaliers ! »
La fiscalité est un outil collectif de choix pour agir sur les escaliers. Elle peut avoir des impacts importants sur les conditions de vie des personnes en situation de pauvreté. Et pourtant, depuis l’an 2000, elle a contribué à l’agrandissement des écarts entre riches et pauvres.
Des décisions…
Le gouvernement fédéral a lancé le bal au milieu des années 90 en diminuant ses transferts aux provinces en matière de santé et de programmes sociaux. Les impératifs de l’équilibre budgétaire et du déficit zéro contraignaient les finances publiques : les coupes ont été nombreuses à l’aide sociale ainsi qu’à la recherche et au maintien en emploi. Au tournant des années 2000, les baisses d’impôts successives des budgets de Bernard Landry et de Pauline Marois ont privé l’État québécois de près de 3,8 milliards de dollars récurrents.
La « réingénierie » de l’État que Jean Charest a imposée, dès son élection en 2003, impliquait un recentrage de ses missions sur la santé, l’éducation et la famille. Le ministre Yves Séguin a déposé un budget un peu à contre-courant de cette orientation en 2004 : crédits d’impôts remboursables, mesures pour les familles et légère augmentation des impôts des compagnies. Cependant, Michel Audet a neutralisé son potentiel en 2005 et 2006 en se tournant vers les « classes moyennes » et en favorisant la hausse des tarifs. La table était mise, avec l’obsession de la dette et les interventions des Lucides, pour la gestion « prudente » et « rigoureuse » de Monique Jérôme-Forget. Les sommes du règlement du déséquilibre fiscal en provenance du fédéral, de 2 milliards de dollars, ont été consenties en baisses d’impôts pour les particuliers et les entreprises, donc hors du collimateur public. L’an dernier, Ottawa a abandonné un point de taxation sur la TPS et le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a promis de faramineuses baisses d’impôts de 60 milliards de dollars sur cinq ans afin de rééquilibrer les surplus accumulés à même les compressions des programmes et services publics. Ces réductions auront des conséquences certaines sur les populations canadienne et québécoise.
… qui ont des impacts
Seulement depuis l’an 2000, l’État québécois s’est volontairement dépouillé d’au moins 5,8 milliards de dollars annuellement. Ce manque à gagner a évidemment des impacts directs sur les services et les transferts. L’ensemble des décisions fiscales et budgétaires – donc politiques – des différents gouvernements a permis aux personnes et aux familles les plus riches de voir leur revenu augmenter davantage que le revenu de celles en situation de pauvreté. Par exemple, entre 2003 et 2008, les personnes « jugées » sans contrainte sévère à l’emploi ont subi une perte de leur revenu disponible de 4,9 % en dollars constants, en raison de l’indexation partielle de leur prestation. Durant la même période, la charge fiscale des ménages les plus riches a continué de diminuer et leur revenu privé a grimpé en flèche. Les mécanismes de solidarité sociale ont été déréglés.
Même si des mesures telles que le Soutien aux enfants et la Prime au travail ont favorisé certains groupes parmi les plus pauvres, notamment les familles monoparentales, au total, les écarts se creusent. Ce phénomène, reconnu autant par de grandes organisations internationales que par des fiscalistes québécois, n’est pas en voie de s’arrêter. Ainsi, le retrait gouvernemental de certains champs d’activité entraîne une plus grande contribution des citoyennes, qui font les frais des hausses continues des tarifs, surtout de transport et d’énergie. La hausse de 13 % des tarifs d’électricité entre 2004 et 2006 n’a pas eu la même incidence sur les ménages en haut de l’échelle que sur ceux en bas de l’échelle, qui y accordent une part plus importante de leur revenu total.
Cet accroissement des écarts entre riches et pauvres est survenu pendant des années de croissance économique soutenue et de création d’emplois. La preuve est ainsi faite : l’argument qui lie création de la richesse et lutte à la pauvreté est trompeur. Depuis 10 ans, les escaliers ont roulé plus vite, les écarts se sont accrus et les dénis de justice et de droit se sont poursuivis.
Un nouveau pacte social et fiscal
Le Collectif pour un Québec sans pauvreté propose depuis plusieurs années un nouveau pacte social et fiscal, afin d’assurer à toutes et tous la réalisation du droit à une vie digne et à une juste rémunération du travail, comme stipulé entre autres dans le Pacte international sur les droits économiques sociaux et culturels (PIDESC).
Ce pacte repose sur une appréciation de deux repères : un repère de sortie de la pauvreté (1) et un niveau de couverture des besoins essentiels (2). Ensuite se posent les choix de répartition de la richesse collective en faveur de la protection des droits humains. Il est nécessaire de garantir à toute personne un niveau de revenu permettant de couvrir les besoins essentiels. Avant l’atteinte de ce seuil, l’État doit lui assurer un revenu ou combler le manque à gagner par une prestation publique (3). Au-dessus de ce seuil, il devrait ajouter un certain soutien au revenu gagné, tant que le seuil de sortie de la pauvreté n’est pas atteint (4), sans prélèvement d’impôts. Parallèlement, il est impératif de fixer le salaire minimum pour qu’il permette à toute personne qui travaille à plein temps de dépasser le seuil de pauvreté (5). Finalement, au-dessus du seuil de pauvreté, on devrait commencer à payer de l’impôt, et en payer une proportion de plus en plus grande de son revenu à mesure qu’il augmente (6).
Une solidarité sociale exemplaire
Si, depuis 2000 et même avant, la fiscalité québécoise a entretenu des mécanismes qui créent des perdantes et des gagnantes, elle demeure un outil collectif à privilégier pour s’occuper des escaliers roulants. Son utilisation nécessite de forcer les gouvernements à adopter et, à mettre en œuvre des politiques fiscales cohérentes, progressives et audacieuses afin de stopper les écarts, les reculs et les injustices. Le temps est revenu, en partie en raison de la crise économique qui frappe, de forger une solidarité fiscale exemplaire.