Aimititau ! Parlons-nous !

No 028 - février / mars 2009

Laure Morali (dir.)

Aimititau ! Parlons-nous !

Lu par Jean-François Létourneau

Jean-François Létourneau

Laure Morali (dir.), Aimititau ! Parlons-nous !, Montréal, Mémoire d’encrier, 2008, 336 p.

« Qui c’est qui est l’hôte ? Mais qui c’est qui est l’autre ? » Sans le vouloir, le grand Plume a condensé dans ce vers 400 ans d’incompréhension et de relations ambigües entre les communautés des Premières Nations et la société québécoise. En effet, les premiers occupants du territoire doivent souvent se poser la même question que le chanteur lorsqu’ils discutent avec des Québécois atteints d’amnésie historique frisant la mauvaise foi. La commémoration du 400e de Québec, où l’héritage des peuples amérindiens a encore une fois été présenté de manière folklorique et simpliste, illustre bien cette façon étrange qu’a la nation québécoise de se souvenir tout en méprisant une part importante de son histoire.

Heureusement, les écrivains impliqués dans le projet Aimititau ! Parlons-nous !, ouvrage présenté par Laure Morali et publié aux Éditions Mémoire d’encrier, sont parvenus à dépasser cette problématique de possession territoriale. Pendant neuf mois, des auteurs québécois et amérindiens (tels que Denise Brassard, Rita Mestokosho, Louis Hamelin, Yves Sioui Durand, Isabelle Miron, Jean Sioui, Yves Boisvert, etc.) ont échangé des missives afin de partager leur réalité, leur engagement, leur vision du monde et de la littérature, leur conception des échanges interculturels, leur questionnement identitaire…Trop heureux de pouvoir se présenter à l’autre sous le vrai jour de l’écriture, ils ont réussi à éviter le piège stérile de s’embourber dans les erreurs et les injustices du passé, sans toutefois évacuer la dimension politique et contestataire de leurs écrits. Au lieu de placer le dialogue sous le sceau de la confrontation et de la méfiance, les écrivains ont plutôt opté pour une dynamique d’ouverture et de confiance, orientée vers un avenir qui reste à inventer, conjointement, au fil des correspondances. Ainsi, dans la lenteur des mots, à des lieues des stéréotypes et des préjugés, ils ont tenté d’expliquer à l’autre leur condition de femme, d’homme, d’écrivain, de poète, d’intellectuel, d’idéaliste, d’engagé, d’enragé, d’Innu, d’Attikamewk, d’Huron, de Cri, de Métis, de Francophone, de Québécois...

Bien que de qualité inégale, les échanges épistolaires qui composent ce recueil ont le mérite de faire voir les relations entre Amérindiens et Québécois à travers le prisme de la littérature. Au cœur de ces textes se trouve la nécessité d’engendrer, par l’écriture et l’imaginaire, une nouvelle disposition au monde, une perception différente de la réalité amérindienne et québécoise. Ce faisant, ces écrits nous ramènent à des enjeux sociaux qui nous concernent tous (la protection de l’environnement, la justice sociale, l’autonomie politique, la gestion du territoire, l’exploitation des ressources naturelles) et nous rappellent le rôle des arts dans l’avènement d’une société égalitaire, ouverte à l’autre et à la différence, véritablement libre parce qu’elle sait enfin se souvenir. Avec ce projet, les écrivains réunis par Laure Morali ont choisi de défricher un nouveau sentier, espérant y trouver sagesse, respect, mémoire et célébration de l’altérité. No hay camino, se hace camino al andar ! Reste à voir si le pouvoir d’évocation de leurs écrits sera assez puissant pour amener sur ce chemin le plus grand nombre de lecteurs possible.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème