L’Universalisme européen. De la colonisation au droit d’ingérence

No 028 - février / mars 2009

Immanuel Wallerstein

L’Universalisme européen. De la colonisation au droit d’ingérence

Lu par Jean-Marc Piotte

Jean-Marc Piotte

Immanuel Wallerstein, L’Universalisme européen. De la colonisation au droit d’ingérence, Paris, Demopolis, 2008, 138 p.

Dans ce petit livre, l’auteur critique le droit d’ingérence défendu par Bernard Kouchner au nom des droits de l’homme et de la démocratie. Sous ces valeurs à prétention universelle, se dissimulent les intérêts bien matériels des pays dominants. Cet universalisme est donc, en réalité, un universalisme européoaméricain. Toutefois, Wallerstein fonde essentiellement son analyse sur l’opposition, au xvie siècle, entre Las Casas, défenseur des peuples autochtones, et Sepúldeva, partisan de la colonisation contre la « barbarie autochtone » : Kouchner serait le successeur contemporain de ce dernier. La démonstration de l’auteur aurait été cependant plus convaincante s’il avait analysé les cas auxquels nous devons faire face depuis celui, problématique, du Rwanda.

Pourquoi les autres grandes civilisations (chinoise, perse, arabe…) n’ont-elles pas produit la modernité comme la civilisation européenne ? Cette question est biaisée, parce que l’Europe est encore posée comme modèle. Les érudits européens, nommés « orientalistes », ont répondu à cette interrogation en créant une entité abstraite, l’Orient, en essentialisant cette entité et en la constituant d’êtres subalternes. Wallerstein ne réagit heureusement pas à cette vision particulariste en se réfugiant dans un relativisme culturel. Il faut situer « l’universalisme » européen dans l’économie-monde capitaliste. La fin de cette économie-monde, qu’annonce avec espoir l’auteur, ferait place à un système-monde meilleur qui nous permettrait « d’universaliser nos particularismes et de particulariser nos universels, en une espèce de chassé-croisé ininterrompu. »

L’auteur relie l’économie-monde capitaliste à l’universalisme scientifique, fondé sur le progrès scientifique et ses retombées technologiques, qui aurait entraîné une coupure épistémologique entre la science (dans laquelle Wallerstein intègre l’économie, la politique et la sociologie) et les humanités (philosophie, littérature, histoire, anthropologie, etc.) : la première rechercherait le Vrai et les secondes, le Beau et le Bien. Cette coupure aurait été fragilisée par l’évolution des sciences naturelles qui dévoile des « niveaux toujours plus profonds de complexité » et l’apparition des cultural studies qui contextualisent tout jugement de valeur. Cette crise structurelle du savoir, dans laquelle serait immergée l’université, serait la contrepartie de la crise structurelle de l’économie capitaliste.

L’auteur conclut en demandant aux intellectuels de poursuivre trois tâches qui ne peuvent être fusionnées : la recherche du vrai ; la recherche du bien et du beau ; la recherche politique de leur unification. La nouvelle économie-monde, qu’il appelle de ses vœux, réunifierait dans une seule épistémé les domaines de la science et de l’humanisme.

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