Dossier : l’assaut contre les retraites
La retraite, futur de tout le monde
La dernière campagne électorale québécoise a montré à quel point les conditions de vie des retraité·e·s, leurs revenus, leur intégration sociale intéressaient peu les partis politiques. Et pourtant, nous sentons tous que les retraites sont menacées, que les régimes de retraite des travailleurs et travailleuses sont de plus en plus considérés comme des privilèges et non des droits sociaux. À travers ces diverses menaces, c’est la retraite elle-même qui est remise en cause comme acquis social majeur. Dans le cadre de la reformulation d’un contrat social, 50 ans après la Révolution tranquille, il nous faut envisager des changements majeurs dans nos perceptions, nos interventions.
La retraite comme temps de loisir conquis sur le temps de travail est à repenser. D’une part, elle doit être replacée dans le cycle de vie et nous devons remplacer le concept flou de vieillesse par celui, plus réel et plus dynamique, du vieillissement comme processus permanent mais plus ou moins rapide selon les positions sociales et les acquis préservés en amont, au travail et dans la sphère familiale. D’autre part, à la perception d’une retraite comme ultime période de récompense et de repos doit succéder une perception d’une retraite active : privés ou libérés de l’emploi, nous continuons à produire, à travailler, à créer, à investir ; les retraité·e·s ne sont pas en situation de « mort sociale », mais restent des acteurs sociaux à part entière, même et surtout dans un ensemble social qui leur refuse ce statut. Enfin, à la retraite conçue comme période de non-emploi doit désormais se superposer une problématique de conciliation travail-retraite.
En ce qui concerne les régimes de retraite, une mise à plat s’impose, sans doute à partir des propositions mises de l’avant par la FTQ et la coalition qu’elle anime pour « Une retraite à l’abri des soucis ». En doublant les bénéfices de la RRQ – sans en doubler les cotisations –, nous rattraperions le niveau de revenus de retraite européen, à 50 % du salaire industriel moyen. L’opposition doctrinaire du gouvernement fédéral à ce qui est devenu au fil des ans la proposition d’une majorité de la population et des provinces est désormais trop fragile pour durer : il faudra bien nous mettre à table pour négocier une réelle sécurité des revenus de retraite, d’autant que nous en avons les moyens économiques ; mais pour cela on devra renégocier un nouveau partage de l’enrichissement, au Québec comme au Canada, et nous interroger collectivement, entre autres questions, sur des financements qui reposent sur l’épargne des machinistes plutôt que sur la productivité des machines.
Passer à l’offensive
Quant aux divers acteurs sociaux engagés dans la gestion collective de l’âge avancé et de ses diverses formes d’incapacité et de pertes, provisoires ou définitives, de ce que nous appelons l’autonomie, ils doivent réaménager leurs rapports, leurs responsabilités et leurs champs d’interventions : initiatives privées lucratives du « marché gris » de l’habitation collective adaptée et des services et soins de santé ? Politiques de l’État preneur en charge, encadreur légal ou initiateur, animateur et subventionneur ? Développement des réseaux citoyens et communautaires fort sollicités et responsabilisés ces derniers temps ? L’observation de terrain a montré une absence de ligne négociée entre les acteurs : l’État central se désengage ou se réfugie dans une bureaucratie autobloquante, les résidences ensoleillées du privé font le profit des promoteurs privés et le communautaire en arrache. Comme si la privatisation se faisait par les deux bouts, côté marché et côté des milieux de vie de proximité. Une négociation générale et progressive devrait s’imposer non entre des acteurs mis en concurrence, mais entre ce qui ressemble fort à des choix de société.
Mais pour atteindre l’objectif, encore devrions-nous interroger nos méthodes d’action collective. Par exemple, choisir un parti pris offensif dans l’analyse et l’intervention, au lieu de tenter désespérément de protéger des acquis sans cesse attaqués efficacement par les employeurs privés (suppression croissante des régimes à prestations déterminées) ou publics (démagogie populiste à Québec et à Montréal), avec parfois la complicité tacite des institutions syndicales. Il n’y a de pouvoir responsable que celui que nous saurons prendre, faute de quoi les régimes de retraite ressembleront de plus en plus à des diètes congrues, et le contrat social à un marché de dupes au profit des plus forts. La retraite est loin d’être un droit acquis et permanent. Droit au repos, mais aussi à l’action, elle doit redevenir un enjeu prioritaire des acteurs sociaux concernés, refléter dans ses résultats un vrai partage des richesses, des responsabilités et des solidarités. La retraite ne saurait être l’avantage de quelques citoyennes et citoyens mieux défendus que la masse des autres ; elle doit constituer le futur et l’horizon de tout le monde. C’est en cela qu’elle est un enjeu social majeur.