Le « trou » de 4,3 milliards $
Rien que du vent !
par Gaétan Breton
Aussitôt arrivé au pouvoir, le nouveau gouvernement Charest s’est efforcé de trouver un moyen de faire passer les coupes sombres qu’il voulait faire subir aux programmes sociaux.Le but avoué de l’exercice était de diminuer le budget de l’État, mais, en réalité, il s’agissait de rediriger les argents vers des récipiendaires correspondant mieux aux « valeurs » libérales.
Un trou dans les nuages
Car le rapport Breton (il n’y a pas que la télé qui ait son mouton noir) ne parle pas des vraies finances de l’État, il parle du budget Marois, qui n’a jamais été mis en application. En conséquence, il parle d’une situation hypothétique qui, d’après lui, aurait pu se produire si le budget Marois avait été adopté. Le budget ne l’ayant pas été, il parle de rien du tout. Cependant, dans les médias, on a tellement parlé que du trou de 4,3 milliards $ que tout le monde a fini par penser que cette somme manquait réellement dans les finances laissées par le PQ.
Creusons un peu la question
Le premier 400 millions qui saute vient d’une somme globale de coupures que le budget Marois prévoyait mais n’avait pas encore affecté à aucun ministère en particulier. Que nul n’y voit de manœuvre électoraliste ! Comme les sommes n’ont pas été affectées, on les fait sauter. Les 174 millions qui suivent sont constitués de hausses de revenus prévues. Comme la source des hausses, bien qu’identifiée par les auteurs du rapport, n’était pas clairement énoncée dans le budget, ils les font sauter.
Le comité-auteur du rapport, car ils se sont mis à plusieurs pour produire ce torchon, croit que les sommes allouées à la santé ne sont pas suffisantes. Il évalue les dépassements possibles à 356 millions (rien de tel que de la précision dans une boule de cristal). Par ailleurs, Marois avait prévu des revenus de 407 millions tirés de la vente de certains actifs non spécifiés. Cette absence de précisions fait tomber cette somme dans le trou.
Marois prévoyait aussi vous faire payer plus cher, 147 millions, vos assurances automobile. Comme elle n’a pas spécifié exactement la façon de le faire, le comité décide que ce montant se retrouve dans le trou. Marois avait aussi prévu, par de petites opérations comptables de fin d’exercice, de récupérer 667 millions dans les revenus. Le comité est contre ; pas de le faire, mais de le dire : « Le comité souligne qu’il s’agit de mesures prises habituellement en fin d’année, et qu’il n’est pas habituel de les trouver déjà identifiées dans le cadre financier. » Bref, tout le monde le fait, mais en silence. Verdict : 667 millions dans le trou. Avec les revenus et dépenses, si vous avez tenu les comptes, nous sommes rendus à 2 151 millions.
Un trou dans l’avenir (qu’on nous disait pourtant bouché)
Les éléments qui suivent découlent des prévisions sur lesquelles ce gouvernement n’a pas de contrôle direct, alors que les précédents portaient aussi sur des prévisions, mais plus contrôlables celles-là. Autrement dit, le ministre peut imposer un nouveau droit ou couper un service, mais il ne peut contrôler le taux de croissance économique du pays.
Parmi les prévisions contestées, la première concerne les transferts fédéraux basés sur le recensement de 2001 : « Au 11 mars dernier, les transferts fédéraux avaient été surévalués par rapport aux résultats anticipés du recensement de la population de 2001. » Un autre 375 millions dans le trou. Or, peu après, nous apprenions que non seulement la situation était inverse et que les transferts fédéraux basés sur le recensement avait été sous-estimés, mais que le ministre Séguin était au courant depuis le début puisqu’il a déclaré que, dès son entrée en fonction, il avait demandé une révision des chiffres qu’il croyait savoir erronés. Comment le savait-il et quel jeu jouait le fédéral dans tout cela ?
Le « comité » renverse aussi pour 711 millions d’écritures prévues qu’il ne trouve pas suffisamment documentées et ajoute un 250 millions de provision pour les problèmes qu’a connus la Caisse de dépôt. Nous en sommes donc à 3 480 millions.
Dans le même ordre d’idées, aux 375 millions déjà retranchés pour les transferts, on ajoute 707 millions de plus. Enfin, ajoutons un petit 200 millions parce que le budget Marois prévoyait une croissance de 3,5 % et que le « comité » se contente de 3,0 %. En ajoutant ces 907 millions aux 3 480 que nous avions déjà, nous obtenons le chiffre de 4 387 millions, qui constitue le supposé trou dont on a tant parlé mais qu’on a si peu décrit.
La peur de tomber dans le trou
De tels chiffres donnent le vertige, surtout quand ils sont maniés avec une telle légèreté, voire un tel cynisme. Ces chiffres servent à faire peur aux gens pour qu’ils acceptent des changements budgétaires qui, au fond, n’ont rien à voir avec les promesses de la campagne électorale. Après de grands discours sur l’argent mis dans la gestion au lieu des programmes, il semble que c’est encore là que le nouveau gouvernement en a mis le plus. On a beaucoup parlé des augmentations en éducation ou en santé, respectivement de 4 % et de 7 %, mais les seuls autres ministères dont les budgets augmentent de plus de 1 %, par rapport aux dépenses réelles de 2002-2003, sont tous administratifs : Conseil du trésor (46 %), Conseil exécutif (75 %), et Finances (47 %). Dans le discours du budget, le Ministre avait déclaré que tous les autres ministères, à part Santé et Éducation, restaient au même niveau. La présidente du Conseil du trésor nous apprend qu’il voulait dire au total. Donc, il a fallu piger dans les programmes pour faire plus d’administration. Est-ce bien là le « maigre » gouvernement qu’on nous avait promis ? Bref, le gouvernement libéral a commencé son mandat par une vaste entreprise de manipulation et de mystification qui augure mal pour les prochains quatre ans.