Anniversaire d’une mobilisation exemplaire

No 001 - sept. / oct. 2003

Visite de Benjamin Netanyahou à Montréal

Anniversaire d’une mobilisation exemplaire

par Abdirahman Ahmed et Sabine Friesienger

Abdirahman Ahmed, Sabine Friesienger

Le 9 septembre 2003 marquait le premier anniversaire de la venue controversée de Benyamin Netanyahou, l’ex-premier ministre d’Israël, à l’Université Concordia.Plusieurs diront que cette date représente un moment catalyseur du mouvement de solidarité contre l’occupation israélienne de la Palestine.

Cette journée là, Bibi, comme l’appellent ses supporteurs, s’apprête à s’adresser à une foule partisane et présélectionnée selon des critères religieux et raciaux dans l’auditorium de l’Université Concordia. Mais avant même qu’il puisse y mettre les pieds, un comité d’accueil se prépare. Près de 2000 personnes, en majorité des étudiantes de Concordia, entourent l’université, bloquant ainsi les entrées principales. Ils dénoncent la venue d’un homme responsable, selon eux, de nombreux crimes de guerre. « Mandat d’arrestation » en main, les manifestants soutiennent que Nethanyahou doit être arrêté soit par toute autorité compétente, soit par les citoyennes et les résidentes ordinaires.

Quelques minutes avant l’arrivée de Bibi, les policiers chargent les manifestants et tentent de dégager les lieux par la force, procèdent à des arrestations musclées et utilisent poivre de Cayenne et gaz lacrymogène. Les étudiantes refusent de céder à l’intimidation. S’ensuivent des bousculades et quelques vitres fracassées. Ne pouvant plus garantir la sécurité des lieux, la GRC et l’administration universitaire décident d’annuler l’allocution de Nethanyahou.

Une cabale arabo-marxiste

Dans les heures et les jours qui suivent, une pluie d’accusations s’abat sur les manifestants. Dans un crescendo peu subtil, on prétendra que la manifestation serait la marque « d’une tentation totalitaire » et le signe d’une plaie antisémite virulente. Quelques esprits vertueux iront jusqu’à déchirer leur chemise sur la place publique en criant que c’est une atteinte sans précédent à la liberté d’expression.

Plus grave, le chroniqueur du Winnipeg Sun, Ross McLennan, va déclarer que « la manifestation a été une réussite complète si le but était de reproduire en version réduite la Nuit de cristal de l’Allemagne nazie ». Faut-il rappeler, par respect pour la mémoire des victimes, que la Nuit de cristal, dans l’Allemagne nazie de 1938, se solda par la mort de 91 Juifs, la destruction de plus d’une centaine de synagogues et de plusieurs milliers de boutiques ?

Les principaux protagonistes de cet amalgame douteux et honteux entre les manifestantes de Concordia et le nazisme, entre des périodes historiques et des actes sans commune mesure, vont particulièrement viser l’Union Étudiante de Concordia (UEC) et le groupe de Solidarité pour les droits humains des Palestiniens (SDHP). Leur mot d’ordre étant que cette cabale arabo-marxiste doit être ramenée à l’ordre.

Cet ordre, on veut le rétablir en retirant l’accréditation syndicale à l’association étudiante, en gelant ses finances, en expulsant l’exécutif de l’UEC, du SDHP ainsi que de toute autre militante, étudiante ou non, œuvrant pour le respect des droits humains palestiniens sur le campus.

Répression

L’administration de l’université refuse d’admettre une quelconque responsabilité pour le déroulement des évènements. Pire, elle s’incline devant la pression de certains lobbies et accepte de policer le campus. Elle va expulser 12 étudiantes et imposer un moratoire de trois mois sur tout débat, discussion, affichage ou toute autre activité reliée à la question israélo-palestinienne. On se souviendra de Svend Robinson et de Libby Davis, deux parlementaires à qui l’administration refuse l’accès à l’Université et qui se voient forcés de s’exprimer dans la rue.

Cette réalité est conforme à la stratégie de base concernant le discours et la pratique politique liée à la situation au Moyen-Orient. Dans le cas de Concordia, ceux qui parlent de liberté d’expression sont Izzy Asper et Nethanyahou. Le premier détient l’empire CanWest et impose un éditorial hebdomadaire unique dans tous ses journaux en plus de censurer tous les textes qui ne prônent pas l’appui inconditionnel à Israël. Le deuxième fait parti d’un gouvernement qui, en 2001, a bombardé et détruit la radio et la télévision palestiniennes et qui transforme en camp de concentration la majeure partie des Territoires occupés. Le premier a organisé la visite de Nethanyahou via sa fondation (la fondation Asper).

Pourquoi Concordia ?

Depuis plusieurs années déjà, le mouvement étudiant à Concordia se distingue par son dynamisme et sa capacité de mobilisation contre la privatisation de l’éducation. Cette mobilisation s’est traduite par d’importantes victoires. Ainsi, les frais d’administration ont été gelés, le contrat d’exclusivité de Sodexho-Marriott (service privé de cafétéria) a été rompu et Zoom Médias a été banni du campus. Mais lorsque les étudiantes, dans une assemblée générale de l’UEC, dénoncent l’occupation des Territoires palestiniens et votent en faveur du retrait des forces israéliennes, la réaction de la part de l’administration universitaire, de certains médias et de groupes d’intérêts change du jour au lendemain. En effet, c’était la première fois au Canada qu’une association étudiante prenait position contre l’occupation israélienne.

Bilan

Un an après, quel est le bilan à retenir pour le mouvement social suite à la venue ratée de Nethanyahou ? Les manifestations du 9 septembre 2002 ont lancé un message clair : on ne peut invoquer la liberté de parole pour promouvoir la destruction d’un autre peuple, la purification ethnique et la haine raciale. Étant résolument contre cette politique, ils sont passés à l’action. De plus, les tentatives de certains médias d’établir Nethanyahou comme barème pour la liberté d’expression (d’autant plus que ce barème est fixé par Izzy Asper) force à nous poser, comme mouvement de solidarité, des questions fondamentales sur les dangers de la concentration des médias. D’autant plus que cette concentration s’accompagne d’une montée de la droite et d’une pression de plus en plus grande pour encadrer les campus et les espaces publics.

Devant ces attaques, quels sont le rôle et les stratégies du mouvement social ? Il nous apparaît important de susciter non seulement le débat sur des questions aussi fondamentales mais aussi de multiplier les espaces de rencontre et de résistance. Le lancement de cette revue en est un témoignage.

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