Dossier : La réingénierie de (…)

La lutte contre la droite radicale au pouvoir

L’expérience ontarienne

Une entrevue avec Judy Rebick

Sébastien Bouchard, Judy Rebick

Engagée dans le mouvement étudiant puis dans l’extrême-gauche politique, Judy Rebick a été une figure importante de la lutte pour le droit à l’avortement dans les années 80. Elle a également été présidente du Comité canadien d’action sur le statut de la femme. Journaliste et
professeure, elle est impliquée dans le Forum social de Toronto et dans de nombreuses luttes féministes, sociales et politiques.

À bâbord ! : Pouvez-vous nous décrire la situation politique au moment de la prise du pouvoir par les conservateurs de Mike Harris en 1995 ?

Judy Rebick : Nous sortions d’un gouvernement NPD, dirigé par Bob Rae, qui avait été élu sans que personne ne le prévoie. Ce premier gouvernement social-démocrate en Ontario avait glissé à droite dans le cadre de son mandat et s’était détaché des mouvements sociaux qui ne l’ont pas appuyé lors des élections.

Mike Harris a gagné les élections avec un programme idéologique de la droite radicale contre les pauvres, contre l’équité en emploi (ce qui était clairement raciste) et pour la baisse des impôts. Les résultats de cette élection en a aussi surpris plusieurs.
Dès le début de son mandat, Harris a éliminé la loi sur l’équité en emploi, il a baissé l’aide sociale de 21 %. Ce fut un choc.

ÀB ! : Quelle a été la réaction des mouvements sociaux ?

J.R. : Dès la prise de pouvoir, des groupes se sont organisés contre Harris. Des jeunes radicaux ont lancé le bal dès l’entrée au parlement de Harris avec le mouvement Erase Harris. Le mouvement social, de façon générale, s’est aussi mobilisé et une coalition entre les syndicats et les mouvements sociaux s’est construite dans chaque ville. Ce mouvement, nommé Days of Action, a lancé une série de grèves ponctuelles et de manifestations gigantesques qui ont bloqué des villes au complet. À Toronto, c’est plus de 150 000 personnes qui se sont mobilisées, il n’y avait personne dans les rues, sauf les manifestantes !

Ce mouvement a été complètement ignoré par Harris. Alors que nous étions habitués à gagner, au moins en partie, nos revendications grâce à nos mobilisations, Harris avait uàn programme idéologique à mettre en place et il n’avait aucun intérêt à faire des compromis avec l’opposition.

La mobilisation n’était pas mal perçue par la population, mais il n’y a pas eu de changement des mentalités.

ÀB ! : Qu’est-ce qui explique la défaite de ce mouvement ?

J.R. : Selon mon opinion personnelle, le mouvement était simplement négatif. Nous luttions contre le gouvernement Harris mais il n’y avait pas d’alternative, le NPD étant discrédité, même dans la gauche. Même au niveau des idées, nous étions seulement « contre », mais nous n’avions pas de revendications positives.

De plus, nous n’avions pas compris que nous étions dans une période historique différente. La logique de mobilisation, puis de négociation débouchant sur des gains plus ou moins importants, était terminée. Il n’était plus possible de gagner dans ce type de logique.

ÀB ! : Que pourraient être les leçons pour le mouvement social québécois ?

J.R. : Bien que je n’ai pas la prétention de répondre à cette question, je vous livre tout de même mes réflexions. Il faut d’abord avoir des revendications simples, claires et positives. Je crois aussi que nous avons un meilleur contexte au Québec car il reste un sens de la solidarité. Par contre, c’est ce que nous pensions aussi en Ontario. La campagne des syndicats contre l’ADQ a permis de faire prendre conscience à la population des dangers de la droite radicale.
Il y a cependant un problème important au Québec, il n’y a pas de parti politique de gauche. La discussion autour de ce projet doit continuer. Selon moi, le PQ n’est pas ce véhicule, mais c’est aux Québécoiss de décider. Mais une chose est claire, il faut un parti politique de gauche, un instrument de pouvoir politique pour la gauche.

Il faut aussi une alliance avec la gauche canadienne-anglaise, car il faut montrer une vision forte de la gauche et faire connaître les alternatives. Ensemble, nous pouvons partager nos analyses et combiner nos luttes, nous serons ainsi plus forts.

Enfin, il faut faire de l’éducation politique, ce que nous ne faisons plus. Lorsque j’étais jeune, les groupes d’extrême-gauche offraient de la formation politique pour leurs membres et leurs sympathisantes. Il y a de l’éducation populaire dans le mouvement social présentement, mais il n’y a pas vraiment d’éducation politique.

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