La réingénierie de Charest
Une entreprise de démolition sociale
Un dossier coordonné par Gaétan Breton et Claude Rioux
Impossible de passer à côté. C’est à une véritable offensive néolibérale qu’on va se heurter dans les mois prochains. Car, plus que d’un changement de gouvernement, c’est à une reconfiguration généralisée des rapports entre la « société civile d’en bas », l’État et l’entreprise privée que l’on semble nous appeler tambour battant.
Le coup de force est là : Jean Charest au gouvernement, c’est – au-delà des promesses électorales – la volonté d’appliquer un programme clairement néolibéral, en approfondissant et radicalisant les mesures de ce type déjà existantes au Québec. Notamment en proposant une véritable « réingéniérie » de l’État, et surtout un nouveau mode de gestion des rapports de l’État avec les différents mouvements sociaux : plutôt que la négociation ou la cooptation, c’est la ligne de l’affrontement que l’on semble dorénavant privilégier. À la manière, en ce sens là, de l’ontarien Mike Harris.
Ce dossier a précisément cet objectif : chercher à comprendre l’exacte nature de ces nouvelles politiques (en quoi sont-elles en rupture et en continuité avec la gestion du PQ ?), tout en réfléchissant ensemble à des stratégies de résistance efficaces (voir les différents constats auxquels sont arrivés les participantes de la table ronde organisée par À bâbord !).
Car la stratégie du gouvernement néoconservateur de Jean Charest a quelque chose d’habile. Plus que de chercher à « baisser les impôts » tout en sauvant la santé et l’éducation (comme annoncé pendant la campagne électorale), il s’agit pour lui de se donner rapidement de nouvelles marges de manoeuvre et surtout d’installer auprès de l’opinion publique l’incertitude, en exagérant les prévisions de difficultés économiques à venir ainsi qu’en créant de toutes pièces un « trou budgétaire appréhendé » (voir l’article de Gaétan Breton). C’est ce qu’on appelle « la comptabilité du grand nettoyage » (the big bath accounting). Manière, en début de mandat, d’annoncer clairement ses couleurs (quitte à les revoir à la baisse si la grogne sociale est trop grande !) et d’entreprendre au plus vite les changements souhaités. Plus encore, il s’agit moins de couper que de réorienter les dépenses vers certains ministères clefs (Conseil du Trésor, etc.). De toute manière, il y a de quoi être inquiet, car la liste des réformes projetées est déjà longue : remise en cause de l’article 45 du Code du travail, de certaines dispositions de la loi sur l’assurance automobile, des politiques d’aide à la petite enfance (dont les garderies à 5 $), de la réforme au secondaire, des programmes d’équité salariale, des politiques de logement ; sans parler bien entendu des nombreuses compressions déjà annoncées dans les commissions scolaires, la fonction publique, etc. (voir l’article d’Alain Marcoux).
Rien ne paraît épargné. Avec pourtant une seule certitude : ce n’est qu’à la condition de rencontrer une opposition farouche et grandissante que le gouvernement mettra un terme à son entreprise de démolition appréhendée. D’où cette autre dimension de notre dossier : non seulement comprendre l’ampleur exacte de l’offensive néolibérale de Jean Charest, mais aussi réfléchir ensemble – par l’intermédiaire d’une table ronde réunissant plusieurs représentants de mouvements sociaux de premier plan – aux résistances possibles à faire naître et coaliser. Puisse ce dossier grandement y aider !