Chaia Heller
Désir, nature et société. L’écologie sociale au quotidien
lu par Christian Brouillard
Chaia Heller, Désir, nature et société. L’écologie sociale au quotidien, Écosociété, Montréal, 2003
Désir de révolution
La Nature pour nous, Occidentaux, semble se présenter sous deux aspects : dune part comme un objet de convoitise qu’on doit conquérir et, d’autre part, comme une sphère en dehors du temps, lieux de tous les fantasmes romantiques. Pour Chaia Heller, dans son ouvrage {Désir, nature et société}, ces deux aspects ne sont pas antagonistes, ils participent d
une même conception, à savoir que Nature et société sont rigoureusement délimités, la Nature étant tantôt objet du besoin des humains, tantôt objet de leurs désirs.
Pourtant, comme s’emploie à le montrer Heller, ces deux domaines ne peuvent être séparés, ils sont en articulation dialectique. S’ils semblent distincts, c’est à cause du type de société où nous vivons qui établit des hiérarchies, non seulement entre le naturel et le social mais aussi entre les humains. Cette réalité a été partiellement reconnue par la pensée écologiste, dont le courant d’écologie sociale (avec Murray Bookchin comme principal penseur) mais, trop souvent, les environnementalistes tombent dans le piège de croire, à la manière de Rousseau, que la Nature est le lieu de toutes les rédemptions et le monde humain celui des perditions. Pour Heller, il faut repenser soigneusement ce désir de Nature.
De fait, l’écologie ne se résume pas simplement à des questions de besoins ou de survie, il y a toute une dimension de désir, désir dune meilleure qualité de vie. Toutefois, pour que ce désir puisse se concrétiser, il doit nécessairement passer par une importante transformation des rapports sociaux et des institutions. Un élément important dans ce processus, c’est évidemment le changement des relations entre genres. C’est à ce titre que le mouvement féministe a permis de pousser plus avant la réflexion et l’action dans le sens d’une transformation réellement radicale de la société et, par le fait même, de nos rapports avec la Nature. Ce mouvement a d’ailleurs débouché sur l’écoféminisme.
L’ouvrage de Chaia Heller se déploie en trois parties, débutant avec une mise en perspective des débats et difficultés que le mouvement écologiste a traversé. Par la suite, l
auteure se tourne vers le mouvement féministe contemporain pour en arriver à mieux cerner cette notion de désir. Cet exercice l’amène à utiliser la métaphore de l’érotisme pour expliquer certains éléments du désir social. On peut retrouver d’ailleurs cette métaphore chez d’autres auteurs comme George Katsiaficas qui parle d’Éros pour décrire les fondements de la politique de la Nouvelle gauche durant les années ‘60 (George Katsiaficas, The imagination of the new left, South end press, 1987) ou chez Jean-Paul Dollé qui, en 1971, parlait du « désir de révolution » (« La cause de la révolution c’est qu’on la désire »).
Heller, à partir du concept de désir social de nature, conclut son ouvrage sur la possibilité de réconcilier Nature et social en autant que cette société ait été remodelée sur la base de rapports égalitaires et d`un contrôle démocratique direct par les citoyens-citoyennes.
Désir, nature et société représente ce genre de livre qui stimule l’imagination et les débats, un livre qui communique pleinement le désir de changement, le désir de révolution.