Entre « radicaux » et « modérés »
Des alliances sont possibles
Une entrevue avec Barbara Legault
Figure connue et reconnue du mouvement anticapitaliste et anarchiste montréalais, Barbara Legault milite avec Bloquez l’empire Montréal, la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) et la Mobilisation populaire contre l’OMC. Ne pouvant malheureusement pas participer en personne à la table ronde, nous lui avons soumis les mêmes questions qu’aux autres participantes et participants. Voici ce qu’elle nous a répondu.
À bâbord ! : La prise de pouvoir par le gouvernement libéral représente-t-elle un changement profond ?
Barbara Legault : Il ne s’agit pas d’un changement profond, pas plus que cosmétique d’ailleurs, mais d’un changement d’intensité dans la poursuite des mêmes politiques économiques capitalistes, patriarcales et racistes qui appauvrissent, oppriment et tuent en créant de plus en plus de divisions matérielles et symboliques entre les peuples. Au même titre que la ZLÉA, la prise de « pouvoir » du Parti libéral ne représente rien d’autre – et rien de moins ! – que l’accélération des politiques capitalistes ultra-libérales : libéralisation des échanges, flexibilisation de la main-d’œuvre ; martelage de cerveaux dans un but de consommation et d’asservissement ; criminalisation de la dissidence et des personnes de couleur qui, soit-disant, menaceraient « notre » sacro-sainte sécurité ; pillage des ressources naturelles ; déchiquetage complet de ce qui peut rester de protection sociale et réhabilitation des valeurs ultra-conservatrices sur le rôle de la famille et des femmes. Mais il faudrait être aveugle pour y voir un changement de direction puisqu’il ne s’agit que de poursuivre ce que l’ensemble des gouvernements précédents avaient si bien amorcé !
Ce n’est pas en 2003 que nous verrons la fin du « modèle québécois » si cher à plusieurs organisation progressistes : il est mort bien avant sa mise en application ! Les libéraux ne seront que plus efficaces dans le démantèlement de tout ce qui aura pu être négocié avec les organisations modérées comme faisant partie du pacte social. Au moins, c’est clair avec les libéraux ! Leur agenda est limpide. Ils ne cachent pas leurs objectifs économiques et politiques derrière un projet de société souverainiste soit-disant « progressiste ».
ÀB ! : Dans ce contexte, qu’est-ce qui pourrait enclencher une mobilisation populaire ?
B. L. : Disons que dans les organisations où je milite, on n’avait pas besoin des libéraux pour lutter contre le capitalisme. La question s’adresse donc à cette myriade d’organisations qui pactisent avec l’État depuis des décennies et qui s’associent davantage à une pensée social-démocrate qu’à une analyse radicale des problèmes sociaux et économiques. Nous partageons énormément d’analyses et des liens de plus en plus étroits se créent entre le mouvement « progressiste » et le mouvement anti-capitaliste anarchisant. Les alliances, plusieurs d’entre nous y croyons et les souhaitons dans la mesure où nous ne compromettons pas nos analyses en les diluant dans la vase social-démocrate d’atténuation des conflits sociaux à travers la concertation avec l’État et la création d’un contrat social signé en haut lieu par les chefs à plumes. Les mesures libérales régressives que nous voyons à l’œuvre participent d’un capitalisme version 2003, alors arrêtons de ne nommer que les batailles sectorielles et collectivisons nos énergies dans une lutte globale contre les structures qui minent la vie des gens ! Bien que le mouvement radical ait des critiques incisives face aux luttes réformistes menées par plusieurs organisations, il n’y a jamais eu, dans l’histoire récente du Québec, autant d’ouverture, de compréhension mutuelle et de potentiel pour créer des ponts solides entre le mouvement de gauche et le mouvement radical. Malgré les vacances des d’organisation « de gauche » et la quasi absence des mouvements étudiants, les récentes mobilisations contre l’OMC du mois de juillet ont permis d’avancer dans ce sens et aucune organisation n’a compromis ses fondements en participant aux actions contre la miniministérielle. À quand une participation plus vaste du mouvement féministe, syndical et communautaire dans des luttes radicales ?
ÀB ! : Mais alors, sur quelles bases êtes-vous prête à travailler avec eux ?
B.L. : Des lieux d’échange ponctuels se créent et permettent d’avancer dans la compréhension et le respect mutuels. Plus jamais, espérons-le, il n’y aura de déclaration publique pour dénoncer les « casseurs », les « radicaux », les « anarchistes » qui montent aux barricades, comme cela avait été fait par Françoise David au Sommet des Amériques. Du point de vue radical, on perçoit de plus en plus de solidarité de la part de différents groupes progressistes qui se manifeste notamment par un front commun de dénonciation de la répression policière, comme ce fut le cas lors des manifestations contre la miniministérielle de l’OMC où des organisations comme le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN, la Ligue des droits et liberté, le NPD, l’UFP et le Conseil des Canadiens se sont solidarisées publiquement des personnes militantes arrêtées. On a quant même fait du chemin depuis le Sommet des Amériques !
Pour la plupart d’entre nous, la diversité des tactiques, l’analyse radicalement anti-capitaliste, anti-patriarcale et antiraciste de même que l’attitude de confrontation envers toute forme d’État-Nation ne seront jamais remises sur la table pour être négociées en vue de former une coalition. Par contre, certaines luttes pour des réformes sont également radicales lorsqu’on agit pour l’amélioration immédiate des conditions de vie des gens en définissant le problème, les moyens d’action et les solutions de manière autonome, voire autogestionnaire, avec les personnes directement affectées par la situation problématique et en utilisant des moyens d’action et de pression qui refusent la concertation avec l’État et les institutions capitalistes. C’est le cas notamment de luttes menées par la CLAC-logement (Quai des Éclusiers, Tent City), par Personne n’est illégal (lutte pour la régularisation des Algériennes sans-statut et autres) et certaines luttes de Bloquez l’empire Montréal (pour l’abolition du projet de bouclier anti-missile). Plusieurs luttes réformistes actuelles pourraient être menées dans ce cadre général et susciter davantage de transformation sociale et d’autogestion des personnes directement affectées. Cependant la plupart des organisations de gauche adoptent la concertation comme stratégie principale de lutte. Et c’est là où il pourrait y avoir un riche débat de fond, tant sur l’analyse du contexte actuel et des luttes sociales à mener en front commun, que sur les tactiques utilisées et les paramètres de la stratégie globale face aux systèmes d’oppression. Des analyses communes permettraient de créer des alliances ponctuelles qui pourraient se faire sur la base des principes de l’Action mondiale des peuples (1), par exemple. Osons espérer que pour tout le mal qu’ils feront, les libéraux nous forcerons à lutter côte à côte pour la chute du capitalisme !