À président moron, SRASSSS suffit !

No 001 - sept. / oct. 2003

À président moron, SRASSSS suffit !

par Amir Khadir

Amir Khadir

Les ânes tuent de leurs sabots plus de gens chaque année que les écrasements d’avion à l’échelle planétaire – l’infâme 11 septembre 2001 n’ayant rien changé à cette singulière statistique.

Aucun psychodrame international pourtant, aucune psychose collective n’ont entouré la pauvre bête qui, dans les cañadas du Chiapas, sur les collines de Chypre ou dans les vignobles de Chiraz, continue de remplir sa fonction très économique. On ne parle bien sûr pas des fonctions économiques importantes qu’occupent certains ânes en costume et cravate au sein des vénérables institutions financières que l’on sait. On parle ici de la bête noble et attachante qui, parfois, sans doute lasse de voir sa servilité légendaire si peu appréciée des hommes toujours aussi cruels, décide de n’en faire qu’à sa tête – ce qui revient à faire « à ses sabots » aux dépens du crâne de sa victime.

Le fracas des sabots sur un crâne, c’est pas rien ! Pourtant, aucune commotion à l’échelle planétaire, en tout cas pas comme celles dont on commence à prendre l’habitude. On frémit pour un tout, on tremble pour un rien : voyages en avion, la crise de la vache folle, le VNO (virus du Nil occidental), la mini-frousse de la mégapanne électrique et bien sûr le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Sans parler du danger que fait courir à la sécurité nationale votre sourire sur les photos passeport !

Épidémiologie pour débutants

Cette série d’épouvantes, comme un chapelet de signes et de symptômes, est si caractéristique que je me suis permis – tout savant que je suis – de les regrouper sous l’acronyme SRRRRRRAS : Syndrome Relativement Répandu du Refus de Reconnaître la Relativité de la Réalité sous l’effet de l’Alarmisme et de la Sinistrose. Fier de ma trouvaille, j’ai même opiné pour y inclure les équivalents modernes des plaies d’Égypte, dont le nombre dépasse tous les records bibliques : faim, misère, impérialisme, désertification (des sols et de la diversité), épidémies mortelles (sida, tuberculose, drogues), pollution (effet de serre, changement climatique), Wal-Martyrisation de l’économie et Walt-Dysparition de la culture, fondamentalisme idéologique, Tony-Blair, CNN, droit de veto au Conseil de Sécurité, OMC, et j’en passe. L’ennui c’est que ces plaies modernes ne se qualifient pas pour le SRRRRRRAS, car dire qu’elles sont catastrophiques pour l’humanité n’a rien d’alarmiste mais correspond à la stricte réalité.

On ne peut pas en dire autant pour le VNO. Cette énorme « balloune » n’a eu d’année en année qu’une infime incidence épidémiologique mais une énorme couverture médiatique savamment entretenue par des officines gouvernementales tel le Centre for Disease Control à Atlanta. Tant et si bien qu’on se demande s’il ne s’agit pas plutôt du Virus du Nul Occidental.
Certes, l’épidémie du SRAS, très localisée, avait tout d’une maladie sérieuse avec une mortalité non négligeable. L’énigmatique pneumonie atypique prenait les allures d’un tableau grippal. Normal donc de penser à la pandémie de la grippe espagnole [1918-1919] qui a fait 20 millions de morts et décimé l’Europe. Normal aussi d’alarmer les instances sanitaires internationales et de prendre des mesures pour contrôler la progression de l’épidémie. Sans comparaison avec le VNO ou la vache folle, le traitement médiatique du SRAS fut tout de même passablement gonflé.

Délire sécuritaire

Michael Moore, dans Bowling for Columbine, démontre avec brio que la dramatisation médiatique outrancière de la violence urbaine – pourtant en baisse – n’a rien d’innocent. Les dangers sanitaires subissent le même traitement par les mass-média. Susan Sontag, qui souffrait d’un cancer, a déjà dit que « l’homme a toujours eu la propension de s’emparer d’une maladie pour y greffer ses métaphores les moins innocentes ». On se livre à une « guerre » contre la maladie ; les différentes thérapies visent à « détruire », à « torpiller » les virus. Ce vocabulaire guerrier n’est pas sans incidence sur la subjectivité d’une société en prise avec des crises et renforce le climat d’insécurité diffus qui la caractérise. Il faut « s’armer » de médicaments pour combattre la maladie. Instrumentalisé par le pouvoir, le souci sanitaire glisse vers un délire sanitaire qui justifie le tout-au-sécuritaire. Car plus l’impératif est grand de s’armer de dispositifs sanitaires pour maintenir la stabilité du tissu biologique, plus la pilule du dispositif sécuritaire pour protéger l’ordre social est facile à faire avaler.

Pour ces raisons, toute crise épidémique d’importance est surdéterminée par le politique. Le nom même de la grippe espagnole en est le premier exemple : pays neutre pendant la première guerre mondiale, l’Espagne fut le premier pays à admettre publiquement l’existence de l’épidémie dévastatrice... pendant que ses voisins, en guerre, préféraient garder la chose secrète. Que ce soit par la négation et le secret ou par l’hystérie alarmiste, le pouvoir est toujours en œuvre pour infléchir dans le sens de ses intérêts la réaction devant les menaces sanitaires, réelles ou prétendues. Autre exemple : alors que les grandes chaînes américaines surexploitaient la crise du SRAS à Toronto ou à Pékin, silence total sur le nombre tout à fait inhabituel, rapporté par Libération, de soldats américains sévèrement touchés par une forme de pneumonie grave en Irak, qui pourrait s’apparenter au SRAS !

Vu sous cet angle, et sans nier le sérieux de la maladie ou peut-être en raison même de sa gravité, le SRAS fut récupéré par son traitement mass-médiatique pour en faire un vulgaire SRRRRRRAS.

Comme les chasses aux sorcières du Moyen-Âge, les syndromes hystériques des années 2000 reflètent par ailleurs les peurs, les anxiétés d’une civilisation au bord de la rupture. Nos hantises collectives contemporaines se nourrissent d’ingrédients générés par une société sous haute-tension (guerre, exploitation, inégalités, maladies) et sont exacerbées par le comportement auto-entretenu de l’information spectacle. Il y a perte de références et érosion de la confiance dans les institutions politiques traditionnelles. La superstition et le fondamentalisme religieux gagnent du terrain. Un rien, sinon un SRRRRRRAS, suffit pour façonner notre consentement – car à Président « moron », peuple « crédule ». Plus facile alors de justifier et de financer l’ensemble des dispositifs politiques (OMC, FMI, Etats dévoyés), judiciaires (lois discriminatoires, barrières à l’immigration, lois anti-terroristes) et sécuritaires (armée, anti-émeute) qui maintiennent la courte stabilité sociologique et biologique nécessaire au statu quo.

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