Pourquoi maquiller l’équilibre budgétaire ?

No 054 - avril / mai 2014

Budget fédéral 2014

Pourquoi maquiller l’équilibre budgétaire ?

Philippe Hurteau

Le 11 février dernier, Jim Flaherty a déposé son 10e budget à titre de ministre des Finances. À bien des égards, l’exercice jette les bases de la prochaine campagne électorale du gouvernement conservateur. L’an prochain, Stephen Harper et ses troupes auront le loisir de se présenter, six mois avant l’échéance électorale, devant les Canadiens et les Canadiennes avec un budget bien équilibré. Cela explique en bonne partie la sobriété relative du document déposé cette année, on aura préféré garder le meilleur pour plus tard.

Les chiffres d’abord. En 2014-2015, le gouvernement fédéral prévoit boucler l’année financière avec un léger déficit de 2,9 milliards $. Considérant que ce montant ne représente que 0,1 % du PIB canadien, il est permis de se demander pourquoi l’équilibre n’a pas été atteint dès cette année. Surtout qu’une légère modification aux baisses d’impôts de plus de 200 milliards $ consenties aux entreprises depuis 2006 aurait suffi à combler ce manque à gagner. Non, si le Canada est encore en déficit aujourd’hui, c’est uniquement en raison d’un choix de politique partisane d’un gouvernement désireux de reporter les « bonnes nouvelles » à la veille des prochaines élections. Pour un parti qui a fait sa notoriété en s’appuyant sur la notion de responsabilité fiscale, on repassera.

Par ailleurs, reporter le déficit zéro comporte un second avantage du point de vue conservateur. En plus de se dégager de la marge de manœuvre pour des cadeaux électoraux, la situation actuelle permet dans un même temps de justifier la poursuite d’un programme d’austérité budgétaire. Le meilleur des deux mondes.

Automobile, marchandisation de la recherche et lutte aux OSBL

Sans grande surprise, le budget contenait tout de même quelques annonces révélatrices des valeurs conservatrices. En ce qui concerne les investissements, la part du lion revient à l’industrie automobile canadienne avec une enveloppe de 250 millions $. Dans ce domaine, la priorité du gouvernement est claire : favoriser le transport individuel et polluant.

Par ailleurs, le gouvernement fait un pas de plus dans son plan visant à lier la recherche universitaire aux besoins de l’industrie. En créant Apogée Canada et en dotant cet organisme d’un fonds de 1,5 milliard $, le ministre Flaherty cherche à intégrer davantage les institutions postsecondaires canadiennes dans le jeu concurrentiel international. Cette annonce vient alourdir une tendance déjà présente. De 1999 à 2012, les fonds de recherches fédéraux ont déjà connu une solide augmentation de 159 % afin de satisfaire aux demandes économiques du milieu des affaires. L’annonce de cette année ne fait, au final, qu’accélérer le mouvement de marchandisation de la recherche.

Finalement, la volonté gouvernementale d’effectuer une révision des avantages fiscaux pour les organismes sans but lucratif (OSBL) a de quoi dérouter. En effet, après avoir tenté le coup en 2008 et en 2011, le gouvernement revient à la charge et semble décidé à pénaliser les organismes (surtout les sociétés d’habitation) qui sont parvenus à accumuler des réserves de sécurité. Faisant face tous les ans à un niveau de financement public inadéquat tout en parvenant malgré tout à diversifier leurs revenus (diversification qui est souvent promue par les organismes subventionnaires eux-mêmes !) afin de continuer à remplir leur rôle social, ces OSBL sont assimilés à des entreprises qui font des profits dans l’esprit du gouvernement. Puisque l’État canadien impose de moins en moins les « vraies » entreprises privées, j’imagine qu’il est de bon ton de compenser en s’en prenant aux OSBL.

Le legs conservateur

Depuis 2006, l’héritage que légueront les conservateurs se clarifie. L’application d’une vision conservatrice des finances publiques a comme conséquence de diminuer l’importance des revenus gouvernementaux par rapport au PIB – ce qui débouche sur des déficits plus importants en temps de crise et une marge de manœuvre limitée afin de financer adéquatement les missions sociales de l’État. Avant la crise de 2008, les revenus gouvernementaux représentaient 16 % du PIB ; ce ratio est tombé à 14 % depuis. Nous sommes loin des 18 % qui prévalait à la fin des années 1990.

L’autre élément qui saute aux yeux est l’explosion des dépenses destinées à satisfaire les exigences des corps policiers, des organismes de renseignement et des militaires. En accumulant l’évolution des crédits alloués à la Défense nationale, au Service correctionnel du Canada, au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), les résultats parlent d’eux-mêmes : en 16 ans, il est question d’une augmentation de 56 % correspondant à 9,4 milliards $ en dollars constants de 2013 ; 70 % de cette hausse est imputable aux conservateurs.

Une rapide comparaison entre l’évolution de l’ensemble des dépenses du gouvernement fédéral et celles liées à son obsession sécuritaire aide à mieux comprendre les transformations en cours, cette dernière catégorie ayant connu une période de croissance des fonds lui étant alloués deux fois plus rapide que la moyenne.

L’an prochain, au moment où l’équilibre budgétaire sera atteint et que le gouvernement pourra présenter son plan d’avenir pour le Canada, parions que cet avenir passera par de nouvelles réductions d’impôts et un rehaussement des investissements pour les Forces armées.

Thèmes de recherche Politique canadienne
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