La Commission Charbonneau
Un échec ?
La commission Charbonneau sera-t-elle un échec ? La question mérite d’être posée puisque quelques semaines avant de finir d’entendre des témoins, elle n’a pas encore abordé le volet qui constitue le cœur de son mandat : l’octroi des contrats de construction par le ministère des Transports et le financement des partis politiques provinciaux.
C’est donc dire que d’ici la pause estivale, la commission devra prendre les bouchées doubles. Surtout après l’intermède qu’a constitué en quelque sorte le volet sur le Fonds de solidarité de la FTQ et la FTQ-Construction où elle a perdu une semaine avec Bernard « Rambo » Gauthier. Il faut souligner qu’elle a consacré quelque 20 mois aux volets municipal et syndical, alors qu’il lui reste moins de trois mois pour le volet provincial.
Les observateurs s’entendent donc pour dire que la commission ne traitera ce volet crucial qu’en périphérie, laissant sur leur appétit les citoyennes et les citoyens désireux de connaître la vérité. C’est ainsi qu’elle ne pourra probablement pas démonter les systèmes mafieux au niveau provincial comme elle a réussi à le faire dans le cas des villes de Montréal et de Laval.
Le retard de la commission à enquêter sur ce qui se passe au niveau provincial vient d’ailleurs d’être la cause d’une déconvenue démocratique de taille. Avec la tenue d’élections hâtives le 7 avril, on a en effet raté une occasion unique d’informer la population de ce qui s’est réellement passé, au cours des dernières décennies, dans ce dossier nauséabond. Les électeurs et électrices n’ont donc pas pu en tirer de leçons avant d’aller voter. La population québécoise est pourtant en droit de connaître la vérité sur cet épisode trouble que le Parti libéral et le Parti québécois s’entendent, comme larrons en foire, pour camoufler parce que le dévoilement de leurs pratiques illégales pourrait les éclabousser tous deux. Et qui d’autre que la commission Charbonneau aurait pu faire éclater la vérité ?
On n’a eu droit jusqu’ici qu’à des parcelles d’information. En 2006, la commission d’enquête Moisan a mis en lumière que des « contributions déguisées » avaient été versées sur une période de plusieurs années au Parti québécois et au Parti libéral. Mais cette enquête ne concernait que les révélations relatives au financement occulte faites par Jean Brault, président de l’agence de publicité Groupaction, devant la commission Gomery sur le scandale des commandites.
Démarrage sur les chapeaux de roues, puis la panne
Pourtant, la commission Charbonneau avait démarré ses travaux sur les chapeaux de roues lors du témoignage de l’ex-policier et ex-député Jacques Duchesneau en juin 2012. Ce dernier, qui venait de quitter ses fonctions de patron de l’Unité anticollusion du ministère des Transports, avait allégué que 70 % de l’argent recueilli par les partis provinciaux était de provenance illégale. C’est avec cet « argent sale » qu’ils peuvent faire des élections, avait-il accusé. Mais par la suite, la commission n’a jamais tenté de corroborer cette allégation percutante même si le témoin lui avait remis un rapport, gardé secret, relatant les témoignages de 13 personnes qui s’étaient confiées à lui.
D’ailleurs, en exceptant deux autres témoignages, c’est la seule fois en 20 mois d’audiences où il a été question du financement des partis politiques provinciaux. La première fois, c’était lorsque l’entrepreneur Lino Zambito a mis en cause l’ex-vice première ministre libérale Nathalie Normandeau, puis l’ex-organisateur libéral Pierre Bibeau et l’ex-ministre libérale Line Beauchamp. La deuxième, quand l’organisateur d’élections Gilles Cloutier a incriminé l’ex-ministre péquiste des Transports Guy Chevrette.
Comment expliquer cette situation ? Pour monter l’essentiel de sa preuve, la commission s’est servie jusqu’ici de l’écoute électronique provenant de méga enquêtes policières, comme l’Opération Colisée et l’Opération Diligence. Maintenant qu’elle ne peut plus s’appuyer sur ce type d’enquête, elle semble démunie. Les enquêteurs de la commission ont plus de difficultés à convaincre les témoins pressentis de collaborer comme cela a été le cas à maintes reprises lors du volet municipal. Le travail d’enquête est aussi compliqué par le fait qu’en se rapprochant du haut de la pyramide politique, les langues se délient moins facilement.
Quoi qu’il en soit, on peut se demander s’il y aura des suites concrètes aux perquisitions effectuées par l’UPAC en 2013 au quartier général du Parti libéral. De même qu’à celle qui s’est déroulée par la suite chez la firme d’ingénieurs Roche qui, selon une recherche effectuée par Québec solidaire, a donné plus de 370 000 $ au Parti libéral, au Parti québécois et à l’ADQ entre 2000 et 2011. On sait que l’ex-ministre libéral des Transports Sam Hamad a occupé le poste de vice-président principal chez Roche de 1998 à 2003, moment de son entrée en politique. De plus, une vice-présidente et un ingénieur de cette firme ont été accusés en relation avec un système de collusion à la ville de Boisbriand.
Il y a aussi le cas de Schokbéton, où l’UPAC a effectuée une descente récemment. Son actionnaire principal, Marc Bibeau, grand argentier du Parti libéral et ami personnel de l’ex-premier ministre Jean Charest, est au cœur de l’enquête. Cette firme, spécialisée dans la fabrication du béton précontraint, a fait fortune en obtenant le contrat du stade olympique de Montréal en 1973. Ω