Quelques réflexions sur la crise, les crises
Le numéro 54 d’À Bâbord (date de sortie : avril 2014) portera sur les résistances autochtones.
En attendant sa parution, nous avons décidé de publier ce texte envoyé par une lectrice, Marie Léger, en version électronique. Il a été présenté à l’événement « Résistance à la crise » de Mots et images de la résistance le 12 novembre dernier.
Crise environnementale et changements climatiques, crise de valeurs, crise de confiance, crise du modèle politique et économique, crise humanitaire ; toutes ces crises qui se bousculent dans ma tête.
Les compagnies minières, leurs alliés qui tentent d’accaparer les dernières ressources encore non exploitées et qui sont, ô surprise, sur des territoires autochtones. En Amazonie, des peuples en isolement volontaire qui fuient la « civilisation » depuis l’arrivée des colons il y a 500 ans et qui doivent reculer chaque jour devant les machines avaleuses d’arbres et creuseuses de trous, mais qui se font attraper par des maladies contre lesquelles ils n’ont pas d’anticorps. Dans l’arctique, parce que la banquise fond, les ours polaires ne savent plus où aller et se retrouvent dans les villages inuit au grand dam des bêtes et des gens. Les caribous de l’Ungava dont le nombre diminue de façon dramatique chaque année ; ils étaient 800 000 dans les années 1990 et 26 000 seulement l’année dernière. Les phoques dont il ne faut pas manger les abats parce que trop contaminés.
Peuples et cultures en danger
Des 104 peuples autochtones qui existent en Colombie, la moitié est à risque d’extinction d’ici la prochaine génération à cause du conflit armé, de l’exploitation des ressources naturelles et du trafic de drogue. Faudra-t-il une liste des peuples en voie de disparition (comme pour les baleines) pour que l’humanité se préoccupe de la disparition d’une partie de son savoir, de sa sagesse ? Et puis, 75 % des presque 3 000 langues en voie de disparition sont des langues autochtones selon les chiffres de l’UNESCO. Des mots qui décrivent la poésie du monde, l’usage des plantes, la personnalité des animaux, les particularités des lieux s’effacent chaque jour et avec eux notre capacité de comprendre la planète.
Au Canada et au Québec, les enfants autochtones confiés à des familles non autochtones sont plus nombreux à quitter leur communauté que ne l’étaient leurs grands-parents au moment des pensionnats. Les mères autochtones qui ne souhaitent pas inscrire le nom du père de leur enfant sur le registre indien parce qu’ils sont violents ou alors parce qu’elles ne souhaitent pas, ne peuvent pas, transmettre leur plein statut légal d’autochtone : l’ethnocide silencieux continue... Et c’est sans compter les vagues successives de suicide, les logements surpeuplés et les territoires usurpés.
Et nous, nous serons pauvres : pauvres des savoirs avalés par le soi-disant développement, pauvres de la sagesse disparue de ces cultures millénaires, pauvres de l’absence de leurs spiritualités enracinées dans le territoire.
Les Autochtones résistent depuis plus de 500 ans. C’est notre regard qui se détourne trop souvent de leurs signaux, nos oreilles qui se font sourdes à leurs appels, à leurs cris. Pour eux, la crise est totale et elle constitue une attaque en règle à leur essence même.
Un long chemin vers la dignité
Mais depuis un an, Idle No More semble enfin commencer à percer le mur du silence et de notre indifférence. La plume rouge a succédé au carré rouge et entre eux il y a des complicités, notamment la résistance à la logique implacable du marché qui nous mène à vitesse grand V dans l’impasse environnementale, humaine.
Idle No More a été amorcé par des jeunes femmes urbaines, dans l’ouest du Canada et au Québec et il s’est propagé comme une traînée de poudre. Partout au Canada, des Autochtones ont commencé à danser dans les centres d’achat, entraînant avec eux une vague de sympathie toute nouvelle et humanisant soudain les temples du consumérisme. Idle No More est un mouvement sans chef et sans organisation. Il se répand par Internet, fort de ses 125 000 ami•e•s Facebook. Il est né en réaction au projet de loi mammouth du gouvernement Harper (C-45) qui permet la privatisation des terres autochtones et modifie la législation sur les voies navigables, mais il est aussi et peut-être surtout un mouvement culturel. Il vise à rendre visible la culture des Autochtones et ses valeurs de conservation, à tendre la main aux autres Canadien•ne•s et Québécois•es, mais il est aussi une affirmation identitaire pour les Autochtones eux-mêmes. Qu’on pense à ces jeunes Cris qui sont partis de la baie James avec des raquettes et des vêtements traditionnels et qui ont marché 1 600 km depuis Whapmagoostui jusqu’à Ottawa. Ils étaient 6 au départ, plus de 100 à l’arrivée, et ils étaient attendus par 4 000 personnes sur la colline parlementaire. On se souviendra que ce jour-là, Stephen Harper était allé accueillir à l’aéroport Pearson... des pandas chinois.
Carré rouge et plume rouge, pas seulement réaction, mais aussi création ! Qu’en restera-t-il ? Qu’en ferons-nous ?