Le nouveau poupon de l’Assemblée nationale a un an !

No 032 - déc. 2009 / jan. 2010

Le billet d’Amir

Le nouveau poupon de l’Assemblée nationale a un an !

Amir Khadir

Ces lignes me viennent d’une invitation faite par Jean-Marc, Luciano et les autres amis de la revue À bâbord ! d’écrire un billet d’humour sur mon année passée à l’Assemblée nationale. Mais la gauche, vous le savez, n’a pas le sens de l’humour. Moi en tout cas, c’est pas ma tasse de thé. Aucun talent naturel. Puis de toute façon, je trouve que les choses à l’Assemblée sont déjà assez drôles comme ça, pas besoin d’en rajouter.

Tenez, je pense par exemple, aux répliques savoureuses de Serge Simard en chambre. C’est d’une telle candeur. L’inénarrable ministre de la Faune et des Mines (allez savoir le rapport !?!) répondait récemment à l’inquiétude de l’opposition sur les signalements d’ours près des lieux d’habitation et sur la mort d’une citoyenne attaquée par un ours : « M. le président, je dois dire, encore une fois je vais le répéter, les agents de la faune font un excellent travail au moment où on se parle toujours parce qu’on le sait, au moment où on se parle, il y a des ours qui se promènent sur les terrains. » Ingrid Betancourt, que le hasard avait mené dans les tribunes cette journée-là, devait se demander si elle n’aurait pas mieux fait de rester dans la jungle colombienne, après tout !

Il y a aussi la satire plus coutumière et la mauvaise foi tordante qui tapissent habituellement les répliques très « entendues » que s’échangent les leaders du gouvernement et de l’opposition. Il arrive même des moments où le plus candide des honnêtes députés ne peut que sombrer lui aussi dans le cynisme ambiant.

Mais il ne faut pas que j’oublie de vous parler de l’artiste par excellence, celui qui répond à la question trop gênante pour que quiconque daigne y répondre. Ce ministre des dures besognes parlementaires, c’est le bien nommé ministre Béchard. J’ai bien dit Béchard comme dans bêcher – retourner la terre avec une bêche. Selon le dictionnaire Littré, bêcher se dit en parlant de faire un travail pour lequel on a de la répugnance. Remarquez qu’« on » ne semble pas inclure ici celui qui fait ce travail en chambre.

Voici comment le grand artiste de la diversion a fait encore sensation à la mi-novembre. Il illustrait du même coup les limites de ce que peut faire l’honnête citoyen qui bêche patiemment sa pioche de député à l’Assemblée du peuple. C’était du Béchard, comme dans « du grand art », contre Khadir, comme dans « doit aller se revêtir ».

Pourtant, enhardi par le KO infligé à Henri-Paul Rousseau en mai dernier, ayant agrippé mon courage à deux mains, je ne m’attendais à rien de moins que la démission du gouvernement ou le déclenchement – illico – d’une enquête publique sur la corruption. J’ai demandé sans détour comment Jean Charest pouvait justifier que son parti reçoive des services gratuits d’un grand avocat de Fasken-Martineau, dans l’enceinte même de l’Assemblée nationale.

Fasken qui ? Fasken Martineau, importante firme d’avocats qui brasse des millions avec le gouvernement libéral. Sur quoi, pensez-vous ? Sur des PPP, comme celui de l’autoroute 25.

Or, que dit le Vérificateur général sur les PPP ? Que c’est de la bouillie pour les chats, que les dés sont pipés, que tout porte à croire qu’on a triché dès le départ pour faire croire que le privé peut faire mieux que le public. Avec un langage, bien sûr, plus suave que le mien, cousu de fil blanc comme celui des avocats. C’est bien pratique pour se tailler de gros contrats.

Et pendant que l’avocat de Fasken retourne l’ascenseur en travaillant gratis en toute illégalité pour le Parti libéral au cœur du Parlement, pendant qu’il s’occupe à découper la carte électorale en faveur des libéraux, nous, on n’a même pas le droit de mettre un bénévole à l’accueil pour prendre les appels !

On comprend que Charest était extrêmement embarrassé par cette couche supplémentaire à l’épais brouillard de révélations et d’allégations de collusion et de malversations qui entoure désormais les contrats de travaux publics au Québec.

C’est là que Béchard se lève à la rescousse de Charest pour sortir son arme de diversion massive : comment Khadir peut-il nous expliquer que le logo de Québec solidaire puisse apparaître dans les pages jaunes, sur les annonces de deux entreprises du secteur minier de Val d’Or !!!

Rien de moins. Québec solidaire pris la main dans le sac des orpailleurs. Faut le faire. Ça ne s’invente pas une chose pareille. Non mais comme gag, dans le genre absurde, les Zapartistes ne feraient pas mieux. Pas même Urbain Desbois ou Laure Condamine.

Quand un journaliste nous a montré l’annonce, on s’est d’abord excité. Enfin l’industrie minière s’intéresse à Québec solidaire. Puis ça va enfin attirer l’attention des médias sur nous d’aplomb. On voyait déjà la manchette : « Le député de Québec solidaire dans les bonnes grâces de l’industrie minière ! »

Osisko aurait-il trouvé un filon sous le Mont-Royal ? La colline est au bout de la rue où se trouve mon bureau de comté. Ma maison est encore plus proche. Géologiquement, elle est sur la même roche.

Ma fortune était faite : je serai rentier. Je pourrai enfin devenir ministre libéral. Si c’est pas ministre du Plan Nord, au moins ministre des Affaires autochtones. En tout cas, je n’aurai plus de raison pour jalouser le député Bernard de Val d’Or, qui a ce don d’attirer toute l’attention de l’industrie minière à lui.

Pas besoin de vous dire que ma déception fut totale. Le type de la compagnie d’excavation ne connaissait même pas l’existence de Québec solidaire quand on l’a contacté. Il ne s’était même pas aperçu du canular.

Mon bref mirage s’est évanoui : pas de claims, pas de droit minier. Pas de lingot d’or, rien : que dalle. Adieu le filon, adieu le ministère. Même pas de quoi me recycler en lobbyiste des minières.

Rien qu’un sale coup d’un petit filou qui voulait embarrasser Québec solidaire de Rouyn-Noranda-Témiscamingue qui venait de déposer un mémoire dévastateur et très remarqué au BAPE sur le projet d’exploitation de mine d’or à ciel ouvert à Malartic.

Un coup pendable. Un coup pour rire que je n’ai même pas vu venir. Je vous l’ai dit : la gauche – c’est connu – n’as pas d’humour. Ce qui ne nous empêche pas, hélas, de faire rire de nous, bien au contraire. À ce chapitre, notre efficacité peut être redoutable !

Il y en a d’ailleurs qui n’en manquent pas une : soit pour faire une caricature sur les fessées quotidiennes que je reçois de Françoise D… ma directrice de conscience ; soit pour faire la une avec mes théories du complot, quand ce n’est pas le lancer du javelot – un sport anti-américain extrême – et assez primaire – dans lequel j’excelle à l’écran. D’autres n’ont même plus besoin de moi, tant les théories du complot ont la cote actuellement. Il s’en trouve aussi pour affirmer que je fais moi-même partie du complot. Islamo-marxiste, j’entends. J’avoue que j’ai un faible pour l’étiquette islamo-marxiste. On sort un peu de l’Occident et ça devient une carte de visite tout à fait tendance, maniable à souhait au Venezuela comme dans le Waziristan.

Je dois quand même admettre que le parlementaire agité et criard au début – je lançais des galoches et tout, et tout ! – est maintenant devenu le poupon le plus rangé et sérieux de l’Assemblée.

Dans cette enceinte, je pose maintenant en homme lucide, respectueux des us et coutumes de cette Assemblée et de sa Tribune de la presse. La Tribune de la presse, c’est pas juste un gradin, comme certains se l’imaginent. Au hot-room, on entend même des fois : Au suivant, au suivant ! Comme dans l’armée. Ou comme Saint-Pierre à la porte du paradis, qui accueille le sauvé et repousse le damné !

Moi,
Moi j’aurais bien aimé un peu plus de tendresse

comme dans la chanson de Brel.

Ou alors un sourire ou bien avoir le temps,
Mais au suivant, au suivant.

Alors désormais, j’en suis rendu à enlever mes chaussures au vestiaire. Comme pour rentrer à la mosquée, moi qui pensais en être sorti définitivement. Curieux revers de destin – vous trouvez pas ?

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