L’expérience andalouse

No 032 - déc. 2009 / jan. 2010

International

L’expérience andalouse

Renouveler le syndicalisme

Étienne David-Bellemare

Depuis le début de la crise économique, le mot « refondation » brûle sur toutes les lèvres. Refonder la social-démocratie, rénover le capitalisme, repenser le syndicalisme, etc. Pourtant, il ne semble pas y avoir dans ces propositions quelque chose de véritablement nouveau. Au Québec comme en Europe, il s’agirait essentiellement de retrouver le compromis keynésien caractérisé par la cogestion sociale et institutionnelle, l’État interventionniste et la collaboration entre les classes.

Or, au contraire, le Syndicat Andalou des travailleurs et travailleuses (SAT) [1] défend l’idée qu’une société réellement nouvelle – libre, démocratique, solidaire et égalitaire – doit s’enraciner dans l’histoire des luttes sociales et ouvrières combatives. De plus, cette refondation doit reconnaître la nécessité d’un futur radicalement différent. Bien que les propos qui suivent soient inspirés par un exemple européen, les lecteurs et lectrices pourront aisément faire les parallèles nécessaires avec la vie politique et syndicale québécoise.

Réactualiser la tradition anarchosyndicaliste

Déjà en 1870, les campagnes andalouses étaient animées par un fort courant anarchosyndicaliste qui perdurera jusqu’à l’arrivée des troupes franquistes en 1936. Cette force du syndicalisme d’action directe serait due aux échecs essuyés par les ouvriers agricoles dans leurs tentatives d’alliances avec la bourgeoisie agraire, ainsi qu’à leurs défaites permanentes devant les tribunaux [2]. Cette situation allait donc entraîner sur le terrain précis de la lutte économique ces travailleurs et travailleuses agricoles en quête de l’amélioration de leurs conditions d’existence. Ceux-ci réclament alors une réforme agraire qui ne viendra jamais et ce n’est qu’en 1976, après la mort de Franco, que l’on assistera à la résurgence du mouvement anarchosyndicaliste dans ce secteur. En effet, le syndicat des ouvriers agricoles (SOC) [3], fraîchement fondé, prendra le relais essentiellement là où l’avaient laissé ses prédécesseurs. Celui-ci réclame une réforme agraire en profondeur (tout en maintenant une perspective révolutionnaire de collectivisation et d’autogestion) et utilise les grèves et les occupations de terre pour faire valoir ses intérêts. Trente ans plus tard, en 2007, le SOC, qui s’était surtout concentré dans les campagnes, décide de fusionner avec différents collectifs syndicaux urbains et de former le SAT.

Le SAT nouvellement créé compte entre 20 000 et 25 000 membres (selon ses élus) et se réclame d’un « syndicalisme de classe, autonome et indépendant, démocratique, solidaire et internationaliste, antipatriarcal, opposé à l’homophobie, non sexiste et pluriel [4] ». Afin de mettre un terme aux injustices issues du modèle économique capitaliste, ce dernier propose « l’appropriation, la gestion et le contrôle des moyens de production par les travailleurs et travailleuses [5] ». L’action directe qu’il préconise repose avant tout sur l’idée que l’émancipation doit émerger de la classe travailleuse elle-même et non d’un quelconque sauveur ou messie des temps modernes. Le syndicalisme d’action directe suppose aussi que la lutte doit être, autant que possible, toujours transportée sur le terrain économique afin d’attaquer de front le patronat ou les pouvoirs publics. En ce sens, le SAT utilisera les mêmes stratégies que le SOC, avec l’objectif de générer une conscience politique plus forte et d’accroître constamment la mobilisation syndicale et sociale. La chronologie des activités du SAT qui suit témoigne de cette constante préoccupation :

Le 5 novembre 2008, 300 militants et militantes du SAT s’agitent dans les rues de Séville, détournant ainsi l’attention de la police, pendant que 200 autres occupent la banque Santander pour réclamer la nationalisation des banques et une réforme agraire.

Le 28 janvier 2009, quatre jours après le déclenchement d’une grève générale illimitée des travailleurs et travailleuses agricoles de la province de Cordoba, le SAT se fait damer le pion par les grandes centrales syndicales conciliatrices représentées par l’Union générale des travailleurs (UGT) et les Commissions ouvrières (CCOO). Ces dernières signent une convention collective qui accorde une ridicule augmentation salariale de 3 % non récurrente annuellement, et ce, jusqu’en 2011. Le salaire quotidien des travailleurs et travailleuses agricoles passe ainsi de 37,60 euros à 38,77 euros (entre 60 $ et 65 $ pour une journée de 7 heures...). En échange de leur attitude modérée, les gardiens de la « bonne entente » maintiennent leur monopole de la représentation dans ce secteur et assoient leurs relations privilégiées avec la bourgeoisie agraire andalouse.

Les activités du syndicat liées à des actions directes

Le 28 mars, le SAT participe à une manifestation contre la refondation du capitalisme et, le 1er mai, les membres du syndicat appellent à la grève générale (qui ne s’est pas encore concrétisée). Le 6 septembre, des syndicalistes du SAT occupent le poste de télévision « Canal Sur » pour dénoncer le traitement médiatique réactionnaire dont les mouvements de contestation font l’objet. En même temps, un autre groupe bloque l’unique station de train de Séville. La police en a définitivement marre de ce syndicat qui brise l’apathie généralisée. Les troupes de l’ordre capitaliste répondent au blocage par une répression brutale. Résultat : 60 blessés et 10 arrestations parmi les manifestants, dont le secrétaire général du SAT, Diego Canamero, qui était partie prenante de l’action.

Pour terminer ce tour d’horizon très sommaire des activités récentes du SAT, mentionnons l’organisation le 4 octobre dernier d’une manifestation « unitaire » réunissant 15 000 personnes (selon les organisateurs). Outre les syndicats alternatifs [6], plusieurs groupes populaires, féministes, indépendantistes et d’extrême gauche participent au rassemblement qui vise à dénoncer le système économique capitaliste et à réclamer des mesures d’aide immédiate pour la classe travailleuse.

Perspectives d’une lutte syndicale et politique d’émancipation

Quelles réflexions pouvons-nous tirer de l’exemple du SAT ? Premièrement, une question doit être soulevée quant aux finalités recherchées en termes de contrôle et d’organisation de l’économie et du travail, pour ne nommer que ces enjeux. S’agit-il simplement de restaurer le vieil ordre social capitaliste avec ce qu’il contient de misère, de précarité, de dépossession et d’autoritarisme, et ce en tentant de « l’humaniser » ? Doit-on plutôt tout mettre en œuvre pour tenter de venir à bout de ce système d’exploitation de l’humain par l’humain ? Cette question devrait être socialement débattue.

Deuxièmement, même d’un point de vue pragmatique, un débat sur les tactiques s’impose. En effet, il apparaît que nous ne pourrons faire d’avancées importantes (ou de rattrapages) sans plonger tête première dans une dynamique de luttes et de confrontations directes avec l’État et le Capital. La classe dominante n’a jamais fait de cadeaux et les gains obtenus par de chaudes luttes demeureront toujours fragiles et temporaires au sein du régime capitaliste [7]. Occupations, luttes sur le terrain économique, récupérations d’entreprises, grèves sociale et politique devraient redevenir des expressions à l’ordre du jour. En somme, il faut se rappeler que nous étions 40 000 lors de la manifestation du 3 mai 2008 contre la privatisation de la santé au Québec et que malgré cela, les cliniques privées poussent toujours comme des champignons [8]. Cela devrait nous interroger.

Enfin, sans une percée qualitative et quantitative des mouvements sociaux combatifs, ce sont encore les grandes figures politiques du « consensus » qui auront ultimement le dessus. Au Québec comme en Europe, celles-ci reprendront le monopole de l’agenda militant en pactisant de nouveau avec le gouvernement et le patronat. À ce titre, rappelons-nous la fameuse politique du déficit zéro et le fait que, depuis 30 ans, l’histoire du compromis est l’histoire des concessions imposées à la classe travailleuse et aux plus pauvres de notre société. Qui plus est, cette dynamique s’accompagne plus souvent qu’autrement d’une logique de négociation par en haut, entre les directions syndicales, patronales et étatiques, éloignant ainsi les principaux concernés des polémiques, des stratégies et des décisions qui déterminent une large partie de leur existence et les rapprochant encore davantage de la dépolitisation.

Pour toutes ces raisons, l’exemple du Syndicat Andalou des travailleurs et travailleuses devrait nous interpeller. Reste à voir de quelle façon il est possible de faire renaître au Québec une vie syndicale et politique à la hauteur des grands idéaux historiques d’émancipation et de libération portés par les classes populaires. Une chose est claire : mieux vaut ne pas faire table rase de notre passé combatif et radical, mais s’y inscrire pleinement pour construire l’avenir.


[1Les informations relatives au SAT sont disponibles en espagnol à l’adresse suivante : www.sindicatoandaluz.org

[2Voir Maxime Haubert, Reconversion agricole, syndicalisme ouvrier et conscience de classe en Andalousie, Tiers-Monde, 1995, vol. 36, no. 141, p. 179-209.

[3Sindicato de obreros del campo : http://www.soc-andalucia.com

[4Déclaration de fondation du SAT : http://www.sindicatoandaluz.org/?q=node/151

[5Idem.

[6Syndicat andalou des travailleurs (SAT), Confédération générale du travail (CGT), Confédération nationale du travail – Séville (CNT-AIT), Syndicat unitaire (SU), Syndicat des ouvriers andalous de la construction (SOAC).

[7Voir David Mandel, Le capitalisme est-il compatible avec la démocratie ?, 15 juin 2009,http://www.lagauche.com/lagauche/spip.php?article2391

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