Campus de l’Université de Montréal

No 032 - déc. 2009 / jan. 2010

Municipalisme

Campus de l’Université de Montréal

Quel avenir ?

Jean-Claude Marsan

L’Université de Montréal (UdeM) envisage de développer un second campus à la cour de triage d’Outremont. Est-ce devenu nécessaire à cause de l’évolution des besoins ? N’y a-t-il pas des espaces encore disponibles pour répondre à ces besoins sur le campus actuel ? Qu’en est-il des possibilités d’expansion dans son voisinage immédiat ? Ou bien cet appétit pour un nouveau campus ne serait-il pas suscité avant tout par un trait culturel propre à cette petite société ? C’est ce que nous allons tenter d’explorer ici sans pour autant prétendre vider la question.

Les besoins en espace

L’évolution des besoins de l’UdeM en terme d’espaces de développement semble pour le moment marquer le pas. En effet, la croissance notable qui a caractérisé les effectifs étudiants depuis le début du XXIe siècle, et cela, dans toutes les universités québécoises, paraît maintenant s’infléchir. Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec (MELS) prévoit que si la tendance se maintient, la décroissance dans les universités québécoises devrait se manifester à partir de 2013. Pour sa part, l’UdeM considère qu’elle commencera à être touchée par cette décroissance à partir de 2015. Cinq ou six ans, c’est fort court en terme de planification d’équipements dont l’investissement est habituellement amorti sur une période de 25 à 30 ans.

Il y a de bonnes chances que ce fléchissement des inscriptions se poursuive, malgré des soubresauts occasionnels. L’actuel déclin démographique du Québec n’est évidemment pas étranger à cette situation, mais il n’est pas le seul en cause. Ainsi, les formations professionnelle et technique semblent en voie de devenir davantage en demande, d’autant plus que la pénurie de main-d’œuvre se fait sentir aujourd’hui principalement dans ces domaines ne nécessitant pas une formation universitaire. Quant à la clientèle étrangère, elle s’avère alléchante mais, pour l’essentiel, se limite à un petit nombre de pays en raison de la langue d’usage à l’UdeM. 

Il serait donc avantageux de savoir si l’actuel campus à flanc de montagne et ses abords immédiats ne seraient pas en mesure de satisfaire en termes d’espaces le faible accroissement de clientèle prévisible selon ces données. Sans compter qu’une telle approche de densification contribuerait non seulement au développement durable en favorisant une meilleure utilisation des infrastructures (dont trois stations de métro) et des services existants, mais pourrait devenir un atout pour l’UdeM en favorisant le rapprochement maximal des unités d’enseignement et de recherche, ce qui accroîtrait l’interdisciplinarité.

On pourrait objecter que le développement d’un second campus à la cour de triage d’Outremont pourrait aussi constituer un attrait important pour sa nouveauté. Sauf que les universités qui, à l’exemple de Toronto et de Vancouver, ont développé des campus secondaires ne semblent pas en tirer des bénéfices si évidents. Les professeurs et les étudiants ont tendance en effet à exiger dans ces nouveaux pôles des quantités et qualités de services comparables à ceux existants dans le campus initial. Il n’est pas acquis que les maigres budgets dont dispose l’UdeM pourront satisfaire ces exigences, sans mentionner les obstacles à l’interdisciplinarité qui résulteront de la répartition des disciplines sur deux territoires distants de quelques kilomètres.

Les espaces disponibles

Selon l’Entendre-cadre entre la Ville de Montréal, l’Université de Montréal, l’École des HEC et l’École polytechnique de Montréal, signée en 1996 et qui détermine les modalités de l’expansion du campus jusqu’en 2016, il reste encore une quantité substantielle d’espaces pour absorber sur le campus actuel ces faibles besoins d’expansion. Sans compter l’ancienne maison mère des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie, il y aurait de l’espace pour procurer 21 800 mètres carrés de superficie nette de plancher. Or, l’UdeM n’entend pas se prévaloir de ces terrains disponibles sous prétexte de respecter le patrimoine du mont Royal.

Ce patrimoine est diversifié : s’il est naturel et mérite d’être préservé comme tel dans le cas du parc d’Olmsted, on ne saurait parler d’un patrimoine essentiellement naturel concernant, par exemple, les cimetières Mont-Royal et Notre-Dame-des-Neiges, l’Hôtel Dieu et le campus McGill. Dans ces cas, il faut envisager le mont Royal comme un paysage culturel, à savoir un milieu naturel à l’origine qui a été investi et transformé au cours des siècles pour satisfaire des besoins collectifs. Ce qui constitue alors sa valeur patrimoniale, c’est l’intégrité culturelle de ces transformations qui ont composé au fil des décennies avec les paysages naturels et qui ont façonné à leur manière l’histoire et l’image de la cité.

Comment, par ailleurs, ne pas douter honnêtement de la motivation de l’UdeM pour la protection du patrimoine quand elle vient de vendre u le pavillon 1420, boulevard du Mont-Royal pour en faire des condos de luxe ? Et cela, au mépris du souhait manifesté par les religieuses concernant l’avenir de l’immeuble et après y avoir investi une somme substantielle en rénovation. Cette ancienne maison mère, située en plus à distance de marche de la station de métro Édouard-Montpetit, enrichit par sa mission éducative comme par son site privilégié et la qualité de son architecture le patrimoine du campus. D’une superficie de plancher utile de quelque 22 000 mètres carrés, il était possible d’y loger nombre d’activités universitaires. Pourquoi l’UdeM ne peut-elle pas envisager le recyclage de ce couvent, héritage de la culture québécoise francophone, alors même que l’Université Concordia n’hésite pas, elle, à s’approprier le couvent des Sœurs grises pour des fins universitaires ?

Donc, en regard des besoins d’espaces actuels et prévisibles, si on additionne les espaces à construire disponibles sur le campus actuel v à ceux que représente le pavillon 1420 u, on se rend compte qu’il n’est pas nécessaire de s’expatrier à Outremont, et cela, sans compter la récupération d’espaces par le réaménagement du pavillon Marie-Victorin w et le recyclage ou le remplacement possible de conciergeries sans valeur patrimoniale x le long du boulevard Édouard-Montpetit. Or, l’UdeM n’a jamais montré d’intérêt à faire des études sérieuses pour explorer toutes ces possibilités de développement du campus actuel et de son voisinage immédiat.

La valorisation symbolique

À notre avis, l’UdeM veut s’installer à la cour de triage d’Outremont pour la même raison qu’elle a quitté à la fin des années 1920 le Quartier Latin pour développer sur le flanc du mont Royal un nouveau campus, inspiré par ceux des universités américaines, à savoir par un besoin viscéral de valorisation symbolique.

Au lieu de rechercher une valorisation symbolique dans la création d’un nouveau campus à Outremont, ce qui risque d’entraîner l’UdeM dans un gouffre financier comparable à celui de l’UQAM, principalement dans cette période de crise économique, pourquoi ne pas puiser cette valorisation dans le campus actuel qui, par son cadre et son caractère pittoresque, n’a guère d’équivalent au Canada ? Pourquoi ne pas tirer profit de l’avantage énorme en notre temps de regrouper à distance de marche toutes les disciplines sur un même site ? Pourquoi ne pas tirer plus de profit de ses trois stations de métro en exploitant le potentiel résiduel de développement du campus actuel et celui de son voisinage immédiat ? Pourquoi ne pas donner à ce campus le cœur qui lui a toujours fait défaut en transformant le secteur de l’avenue Louis-Colin, entre l’avenue Willowdale et le boulevard Édouard-Montpetit, en face même du pavillon icône Roger-Gaudry, en une place publique attrayante y concentrant les services pour les professeurs et les étudiants, créant un lieu de rencontre, de socialisation, de convivialité qui enrichirait et reflèterait la vie de la communauté universitaire ?

Voilà ce qui constituerait une approche rationnelle et réaliste à une véritable valorisation symbolique de l’Université de Montréal, tout en répondant aux besoins de l’institution comme de la communauté.

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