Le Québec en quête de laïcité
Arguments contre une propagande
Le cours d’Éthique et de Culture Religieuse
Quiconque se conçoit comme ouvert et vertueux se plaît à répéter que l’étude des religions à l’école ne peut faire de tort à personne, puisque cela contribue à la culture générale et permet de mieux connaître la culture des immigrants. Ces lieux communs aux fondements douteux confortent la complaisance envers un cours dont l’implantation massive constitue non seulement un détournement parfaitement planifié du processus de laïcisation du système scolaire québécois, mais fait aussi la promotion de la « laïcité ouverte », concept à lourde charge idéologique dont l’objectif avoué est de favoriser le retour du religieux dans l’ensemble des institutions publiques.
Un cours d’éthique (…) religieuse
Les religions sont inquiétantes lorsqu’elles manifestent des prétentions normatives et font des tentatives répétées pour réinvestir les champs de l’éthique, de la politique et de la justice. Les conservateurs religieux n’ont jamais renoncé à l’espoir de réinstaller les préceptes religieux en position de critère absolu du bien et rêvent toujours de reconquérir la position décisive occupée par les Droits de l’Homme depuis près de six décennies.
Récemment, la Commission des droits de l’Homme de l’ONU, lors de la conférence de Durban sur le racisme, fut le théâtre d’offensives orchestrées par des régimes théocratiques afin que la « diffamation des religions » soit reconnue comme une forme de crime contre l’humanité. Ce stratagème aurait fait en sorte que certaines pratiques religieuses portant atteinte à la dignité humaine ne puissent plus être dénoncées.
Le « pluralisme normatif » (ou relativisme culturel) dont le nouveau programme ÉCR fait la promotion tend aux mêmes résultats. Le cours recommande de prendre en considération les « diverses » normes et pratiques religieuses propres à la culture de « l’autre », sans jamais attirer l’attention sur l’obligation faite à tout citoyen de se conformer aux chartes des droits et aux lois civiles en vigueur dans une société démocratique.
Un enseignement de l’éthique laïque compatible avec l’État de droit serait un enseignement humaniste faisant explicitement état des déclarations et des chartes des droits, qui en expliquerait les fondements rationnels universels et procèderait à leur mise en application à la faveur de discussions où ne seraient retenus que les arguments propres à servir l’utilité publique et le bonheur du plus grand nombre. Rien de tout ce qui est indiqué en italique n’apparaît dans le volet éthique du programme ÉCR. Enseigner l’éthique de cette façon aurait été une menace pour toutes les morales religieuses, car les élèves, désormais informés des droits et finalités légitimes dans une société moderne, auraient été en mesure de formuler des critiques dévastatrices, quoique largement méritées, envers les religions.
Les conservateurs religieux se sont entichés du relativisme culturel lorsqu’ils ont découvert que cette conception de l’éthique met les pratiques religieuses à l’abri des critiques rationnelles, à condition de lier irrémédiablement « culture » et « religion ». Bénéficiant d’un préjugé favorable à la diversité des expressions culturelles, certaines pratiques religieuses ne respectant pas la dignité humaine ou les lois civiles trouvent ainsi un semblant de légitimité. Cette pagaille conceptuelle permet aux religieux de confondre aisément les classes politiques et juridiques qui se croiront dans l’obligation, pour éviter d’être taxés d’intolérance, de prendre des décisions contraires aux fondements d’une société juste et démocratique.
Sophisme et propagande
Le biais relativiste du programme ÉCR saute aux yeux de professeurs de philosophie du collégial, inquiets de devoir bientôt composer avec des étudiants habitués à penser que des actions doivent être jugées bonnes à la seule condition de correspondre aux pratiques en vigueur dans le groupe identitaire de celui qui commet l’action. Tous les manuels du collégial rejettent cette conception de l’éthique qui, à bien y penser, ne vaut guère mieux qu’un sophisme tel l’« appel au clan » ou l’« appel à la tradition ».
La charge idéologique du cours ÉCR n’a pas non plus échappé à l’attention de tribuns nationalistes ou d’historiens qui y voient un endoctrinement multiculturaliste visant à contrer les velléités identitaires des Québécois. Cependant le multiculturalisme, largement promu par les Britanniques et dont nous avons hérité au Canada, peut aussi être vu comme un dispositif idéologique visant à préserver les prérogatives de la monarchie et de l’Église anglicane de tout projet de réforme républicaine laïque à visée universaliste.
Si l’école a pour mission d’instruire en se gardant d’endoctriner, le programme ÉCR a tout faux ; il n’enseigne rien de valable et fait le jeu de la politique.
Un cours qui divise
Le programme ÉCR ne fait bien évidemment jamais explicitement référence au relativisme culturel, au multiculturalisme, au communautarisme ou à la « laïcité ouverte [aux religions] », mais l’invocation incessante de la notion de « différence », sous prétexte de reconnaissance de « l’autre », trahit ce parti pris idéologique.
D’ailleurs, le mot « autre » est un terme allusif qui ne peut que créer de nombreux malentendus. Qui sont ces « autres » que nous devons reconnaître et apprécier sans jamais les nommer ? N’est-il pas toujours indélicat de pointer du doigt les « différences » des « autres » ? Les « non-autres » ne seront-ils pas bientôt exaspérés par cette valorisation excessive de la « différence » des « autres » ?
Il faut s’inquiéter de la montée des discours xénophobes perceptibles dans certains blogues dédiés à la contestation du cours ÉCR et sur les ondes de radio populistes où l’on accuse déjà ouvertement les immigrants d’être à l’origine de l’implantation de ce nouveau cours obligatoire pour tous.
Les immigrants n’ont jamais réclamé un tel cours. Les Néoquébécois n’affichent pas plus de ferveur religieuse que la moyenne des Québécois [1] et ne se définissent donc pas nécessairement ni uniquement par leurs convictions religieuses. Les écrivains Neil Bissoondath, auteur du Marché aux illusions, et Amin Maalouf, auteur des Identités meurtrières, ont dénoncé de manière intelligente et sensible ce piège qui condamne l’immigrant à ne jamais cesser d’être un « autre ».
À une certaine époque les enfants non-catholiques ne pouvaient s’inscrire dans les écoles francophones de Montréal. Ce fut un premier rendez-vous raté de la société québécoise avec l’immigration. Le formatage au « pluralisme normatif » que subiront nos enfants aura un impact tout aussi néfaste. Les nouvelles générations ne sauront bientôt plus concevoir ni même désirer l’intégration citoyenne des Québécois, toutes origines confondues, autour d’une norme commune, d’un contrat social commun.
Instrumentalisation de « l’autre »
Force est de constater que les immigrants ont été instrumentalisés par les concepteurs du programme qui, voulant « sauvegarder l’essentiel de la confessionnalité scolaire » [2], tout en rencontrant les exigences d’équité prescrites par la Cour suprême, ont eu intérêt à camoufler les contenus essentiellement catholiques derrière une myriade de contenus multiconfessionnels. Ainsi, le prétexte de « la reconnaissance de l’autre » n’aura-t-il été qu’une caution permettant de consolider la présence du catholicisme traditionnel dans le système scolaire québécois.
De plus, les concepteurs du programme ÉCR voulant surtout éviter in extremis la fermeture définitive de quelques facultés de théologie [3] ne se seront pas trop inquiétés du sort réservé aux immigrants, mis en porte-à-faux et par conséquent injustement exposés à la vindicte identitaire des « non-autres » les plus « crispés ».
Abolir le lobby religieux
Les responsables de ces « fins stratagèmes dignes de l’héritage des jésuites » [4] étaient déjà actifs dans l’ancien Comité catholique du ministère de l’Éducation. Depuis 2000, ils ont continué de servir au sein du Sécrétariat aux affaires religieuses ( SAR) et du Comité sur les affaires religieuses (CAR). Ces deux entités veillent au processus de déconfessionnalisation du système scolaire et sont considérées, selon le coordonnateur actuel du SAR, M. Roger Boisvert, comme les maîtres d’œuvre du nouveau programme d’Éthique et culture religieuse (ÉCR).
Demander à un loup de compter les moutons n’aurait pas été plus bête, car le SAR et le CAR, séquelles de l’ancien régime clérical, constituent en réalité un lobby proreligieux financé par les deniers publics et oeuvrant au sein du ministère de l’Éducation. Les multiples aberrations du programme ÉCR ne sont donc que les symptômes d’un dysfonctionnement structurel.
Il n’y aura pas de véritable laïcité scolaire tant que des gens capables d’imaginer de telles inepties idéologiques et disposant des pleins pouvoirs pour les faire appliquer jouiront d’un statut privilégié dans l’appareil ministériel. Voilà pourquoi le Mouvement laïque québécois préconise non seulement l’abolition du volet de culture religieuse du programme ÉCR, mais aussi l’abolition totale et définitive du Sécrétariat aux affaires religieuses et du Comité sur les affaires religieuses.
[1] Paul Eid, La ferveur religieuse et les demandes d’accommodements religieux : une comparaison intergroupe, CDPDJ, décembre 2007.
[2] Christine Cadrin-Pelletier, Le CJF : l’incarnation d’un christianisme critique au sein de l’Église, allocution, 25e anniversaire du Centre Justice et Foi, 10 mars 2008. Mme Cadrin-Pelletier fut sous-ministre associée de foi catholique de 1995 à 2000 et sécrétaire du Sécrétariat aux affaires religieuses de 2000 à 2005.
[3] La formation des maîtres dans le domaine du développement personnel : une crise symptomatique, Comité des affaires religieuses, novembre 2003.
[4] Propos enthousiastes formulés par un membre de l’assistance à la suite de l’allocution de Mme Cadrin-Pelletier, le 10 mars 2008.