Complexe militaro-industriel
Le Canada, un État militariste comme les autres
par Claude Rioux
En dépit des déclarations officielles du gouvernement libéral de l’époque, le Canada a participé militairement à la guerre d’Irak en 2003 en fournissant des planificateurs militaires, en prenant la tête d’une force navale dans le Golfe persique, en consacrant d’importants moyens logistiques en Afghanistan – relevant ainsi les forces états-uniennes qui ont pu être redéployées en Irak – et en fournissant les pistes d’aviation de Terre-Neuve aux bombardiers états-uniens en route pour l’Irak…
L’industrie de la « défense » (sic) a connu une croissance de 46 % depuis 1998 et elle est maintenant évaluée à 7,5 milliards de dollars annuellement. Selon l’organisme Ploughshares, les exportations canadiennes d’armements sont de l’ordre de 1,5 milliard par année, dont un milliard vers les États-Unis. Le Canada se classe parmi les 10 premiers exportateurs de munitions et autres équipements militaires. Selon la Conférence des associations de la défense, environ 200 sociétés canadiennes tirent chacune des revenus de plus de 100 000 $ du marché états-unien de l’armement, alors que 1 200 tirent des revenus de plus de 100 000 $ du marché canadien de l’armement.
Le Conseil canadien des chefs d’entreprise (CCCE), qui avait lancé son Initiative nord-américaine de sécurité et de prospérité en 2003 [voir le texte de Claude Vaillancourt, page 24], a fondé un Groupe d’action de chefs de direction sur la prospérité nord-américaine, comprenant 30 membres. En font partie les dirigeants des plus importantes compagnies productrices de matériel militaire au Canada, notamment GM, CAE et SNC-Lavalin. Et c’est à Washington que ce groupe a tenu sa première réunion en avril 2003 (en pleine guerre d’Irak), afin de se concerter avec le chef de cabinet du président Bush, le Secrétaire de la sécurité intérieure, Thomas Ridge, la sénatrice Hillary Clinton, l’ambassadeur Cellucci, le général à la retraite Wesley Clark, le vice-premier ministre et ministre des Finances John Manley, le Gouverneur de la Banque du Canada et plusieurs autres…
Il n’y a pas que les chefs d’entreprises et leurs clients politiciens qui ont des intérêts dans l’économie de l’armement. En 2003, le Régime de pensions du Canada (RPC), auquel tous les salariées cotisent, avait investi dans plus de 120 entreprises d’armement, dont 90 aux États-Unis. Plus récemment, le Canada a été indirectement impliqué dans l’agression israélienne contre le Liban. Plusieurs des armes utilisées par l’armée d’Israël, fournies par les États-Unis, n’existeraient pas sans les centaines de composantes électroniques produites par le complexe militaro-industriel canadien et développées à l’aide de fonds publics. C’est le cas de l’hélicoptère d’assaut AH-64 Apache (dans le développement duquel le RPC a investi 71 millions $), des bombardiers tactiques F-15 Eagle et F-16 Fighting Falcon (investissement du RPC : respectivement 71 millions et 27 millions $).
Les relations amicales entre le Canada et les massacreurs du monde entier sont presque inévitables, puisque parmi les dix plus grandes entreprises d’armement au monde (dans l’ordre : Lockheed Martin, Boeing, Northrup Grumman, BAE Systems [anciennement Marconi], Raytheon, General Dynamics, EADS, Honeywell, Thales et Halliburton), neuf ont une filiale canadienne, avec siège social, accès aux subventions de l’État canadien et « connexions » de toutes sortes.
En échange de ces subventions et des généreux achats faits par l’armée canadienne, les industries militaires du Canada engraissent les partis politiques (NPD inclus). Entre 1993 et 2003, parmi les donateurs du Parti libéral du Canada, on retrouvait notamment Bombardier (892 742 $), SNC-Lavalin (882 294 $), Spar Aerospace (223 523 $), Pratt & Whitney (203 703 $), BAE Systems (37 790 $), Honeywell (36 447 $) et CAE (35 787 $).
Le Parti conservateur du Canada, qui arrivait jusqu’à tout récemment deuxième dans les bonnes grâces des industries militaires, devrait bientôt rejoindre le Parti libéral. En effet, le gouvernement Harper a annoncé, au printemps dernier, l’achat de quelque 17 milliards $ d’équipement pour l’armée canadienne. Parmi les entreprises qui bénéficieront de cet arrosage pas-très-néolibéral : SNC-Lavalin, Boeing, BAE Systems et Lockheed Martin. Le Canada a désormais le sixième budget militaire en importance parmi les pays de l’OTAN. Et c’est sans compter la porosité entre les budgets de la sécurité publique, de la recherche et développement et de la défense, de nombreux contrats et diverses collaborations étant mis en place dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ».
L’un des bénéficiaires de l’explosion du budget de la défense et de la mission en Afghanistan a été General Dynamics Land Systems (GDLS). En 2004, GDLS Canada, basé à London en Ontario, a obtenu une prorogation de contrat de 165 millions $ pour gérer les véhicules blindés légers (VBL) des Forces canadiennes, tels que le VBL III aérotransportable, une arme utilisée par les soldats canadiens pour patrouiller l’Afghanistan. GDLS Canada a aussi obtenu récemment un contrat s’élevant à 60,2 millions $ pour 25 véhicules à l’épreuve des mines.
L’actuel ministre de la Défense nationale du Canada, le (très) déshonorable Gordon O’Connor, est lui-même un ancien militaire (brigadier général) et a été un consultant senior pour la firme de relations publiques Hill & Norton de 1996 à 2004. À ce titre, il s’est enregistré comme lobbyiste auprès du Parlement du Canada, déclarant représenter 15 entreprises de l’armement (dont Airbus Military, BAE Systems et… General Dynamics).
Le Canada, en dépit de toute la broue faite autour des casques bleus, est – au même titre que les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne – un État militariste comme les autres.