La politique extérieure du Canada au Moyen-Orient
par Bruce Katz
Depuis la création de l’État hébreu en 1948, la politique étrangère du Canada face au conflit au Moyen-Orient a connu un infléchissement favorable à Israël. Ce texte vise à faire un survol, forcément incomplet, de l’évolution des positions canadiennes face au conflit israélo-arable, évolution qui a culminé en un soutien inconditionnel du gouvernement de Stephen Harper à l’agression contre le Liban à l’été 2006.
Le Canada, de par son statut de dominion britannique et à cause de sa proximité avec les États-Unis, a traditionnellement joué un rôle de médiateur entres les positions des deux empires dans la période 1918-1948, c’est-à-dire au cours du mandat de la Grande-Bretagne sur la Palestine, période durant laquelle le Canada était gouverné par Mackenzie King (1921-1926 et 1935-1948).
Avec le départ de Mackenzie King, la politique extérieure du Canada, sous les auspices des premiers ministres Louis St-Laurent (1948-1957) et Lester B. Pearson (1963-1968), se range du côté des positions des États-Unis face au Moyen-Orient. Le 22 novembre 1948, Pearson, alors ministre des Affaires étrangères, appuie la position états-unienne sur les frontières d’Israël et rompt avec la Grande-Bretagne en appuyant le principe des gains acquis par les sionistes aux dépens des Arabes palestiniens durant la guerre de 1948. Le 24 décembre 1948, le Canada vote en faveur de l’adhésion d’Israël aux Nations unies.
À partir de 1959, la situation au Moyen-Orient se corse avec des attaques et des représailles d’un côté comme de l’autre et, en 1967, éclate la Guerre des six jours. Israël envahit et occupe la Palestine, enlevant encore une fois des territoires aux Palestiniens, et fixe sa nouvelle frontière sur la « ligne verte ». Malgré les efforts de Pearson pour éviter le conflit israélo-palestinien de 1967, la géopolitique au Moyen-Orient reflétait l’opposition américano-soviétique et le Canada est resté « assis sur le banc », plutôt invisible pendant que les combats faisaient rage. C’est à partir de cette époque qu’est établie une « loi fondamentale » de l’attitude du Canada aux Nations unies : on peut voter en appui de la position états-unienne, on peut s’abstenir (comme le gouvernement Trudeau allait souvent le faire sur les questions touchant le Moyen-Orient), mais on ne votait jamais contre la position des États-Unis…
C’est sous la gouverne de Pierre Elliot Trudeau (1968-1984) que des diplomates canadiens entament les premiers contacts avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et que le Canada appuie le principe d’un foyer national pour les Palestiniens. Une solution basée sur la résolution 242 de l’ONU, laquelle exige le retrait d’Israël des territoires palestiniens occupés jusqu’à la frontière établie en 1967 ainsi que le démantèlement des colonies de peuplement israéliennes dans ces mêmes territoires (incluant Jérusalem-Est).
Lors de l’invasion israélienne du Liban en 1982, le gouvernement Trudeau a été le premier gouvernement occidental à dénoncer l’agression israélienne en demandant le retrait immédiat et inconditionnel des forces israéliennes. Trudeau a été vivement critiqué par des porte-parole influents de la communauté juive au Canada, mais il avait développé une certaine antipathie pour le lobby pro-Israël au point de refuser toute rencontre avec le Comité Canada-Israël.
Avec le départ de Pierre Trudeau et l’arrivée sur scène de Brian Mulroney, la politique canadienne au Moyen-Orient penche nettement en faveur d’Israël. Il est vrai qu’au moment de la première Intifada, son ministre des Affaires étrangères, Joe Clark, a vivement fustigé le gouvernement d’Israël pour la violence excessive de son attaque contre les Palestiniens et exprimé son inquiétude face aux abus des droits de la personne par l’armée israélienne dans les territoires palestiniens occupés. Cependant, après la ratification de l’Accord de libre-échange par le Canada en 1988, le gouvernement Mulroney s’aligne de plus en plus sur les positions de Washington, comme le feront d’ailleurs ses successeurs Jean Chrétien, Paul Martin et Stephen Harper.
S’il est vrai que Jean Chrétien était plus prudent au point de vaciller dans les choix politiques de son gouvernement par rapport au Moyen-Orient, et tâchait de se garder plus distant du lobby pro-israélien, son gouvernement a néanmoins suivi la ligne de Washington dans sa « guerre contre le terrorisme ».
Le fait de ne pas avoir envoyé de troupes en Irak ne veut pas dire que le Canada n’ait pas appuyé la guerre états-unienne en termes de soutien logistique, notamment par l’envoi de soldats canadiens en Afghanistan. Ce fut le gouvernement Chrétien qui ajouta, en 2002, le Hezbollah à la liste de groupes terroristes à la suite d’une campagne dirigée par le lobby pro-Israël [voir le texte de Marc-André Gagnon, page suivante].
Les évolutions récentes
Avec l’arrivée de Paul Martin comme chef du PLC et premier ministre du Canada en 2003, la puissance du lobby pro-israélien s’est manifestée rapidement lorsque Bill Graham qui, en tant que ministre des Affaires étrangères, prônait une plus grande ouverture envers les Arabes et n’aurait pas été assez « ferme » dans son appui à la politique israélienne dans les territoires palestiniens occupés, a été muté des Affaires étrangères à la Défense [1]. On nomma à sa place Pierre Pettigrew, qui allait appuyer inconditionnellement la politique israélienne.
Symbole parfait de ce nouvel alignement : le vote sur la question du « mur de séparation » israélien aux Nations unies, à la suite de la décision de la Cour internationale de justice (2004) jugeant la construction du mur illégale en droit international. Le Canada se range avec les six pays (contre 150 !) ayant voté contre la résolution condamnant la construction du mur israélien. Ce fut la confirmation de la tendance ayant commencé avec le gouvernement Mulroney : la politique extérieure du Canada au Moyen-Orient serait façonnée dans les capitales étrangères, avec l’appui du Canadian Council for Israel and Jewish Advocacy (CIJA) et en excluant l’expertise du ministère des Affaires étrangères à Ottawa.
Suit le fameux discours de Paul Martin lors des élections de janvier 2006, quand il annonce que « les valeurs d’Israël sont les valeurs du Canada ». En regard de la destruction des infrastructures palestiniennes et des abus systématiques des droits de la personne dans les mêmes territoires occupés, la déclaration de Martin constitue un outrage pour les membres de la communauté arabo-musulmane au Canada. Cela se traduit par la défaite de certains candidats libéraux lors des élections fédérales dans les circonscriptions où il y a une présence importante de la communauté arabo-musulmane.
Mais le glissement de la position canadienne vers un appui inconditionnel à la politique israélienne est scellé avec l’arrivée du gouvernement minoritaire de Stephen Harper. On se rappelle – et on se rappellera longtemps – de sa déclaration qualifiant de « 7 » l’attaque brutale d’Israël contre le Liban. Cela a dû plaire aux membres du CIJA, mais a énormément mécontenté le peuple canadien qui, lui, n’ayant pas été aveuglé par les tentatives du lobby pro-Israël de blanchir l’agression israélienne, déplorait la manière avec laquelle l’armée israélienne a ciblé les civils au Liban et à Gaza.
En soutenant l’insoutenable, le Canada s’est isolé et marginalisé. Le pays est perçu, non sans raison, comme l’appendice du département d’État des États-Unis. L’alignement avec la politique impérialiste de l’administration Bush mène l’Occident dans un scénario géopolitique qui ne peut que favoriser un conflit mondial. Déjà, Washington parle de contourner l’ONU si on ne se met pas d’accord sur la question de sanctionner l’Iran. La Chine et la Russie s’y opposent, ayant leurs propres intérêts en Iran qui ne s’accordent pas avec ceux des États-Unis. On y voit les premiers mouvements de la division en camps armés. Le rôle que le Canada aurait entrepris sous Mackenzie King, St-Laurent, Pearson et Trudeau aurait été le rôle d’intermédiaire entre les belligérants. Mais le Canada sous Stephen Harper est devenu un des belligérants dans un conflit made in USA. Je crains qu’on paiera très cher cette rupture avec le rôle que le Canada a joué auparavant sur la scène internationale.
[1] À l’époque où il était ministre des Affaires étrangères, Bill Graham s’opposa à l’idée de mettre le Hezbollah sur la liste de groupes terroristes. Aujourd’hui, il dit exactement le contraire en exigeant la démission du critique du Parti libéral en matière d’Affaires étrangères sous prétexte que ce dernier a osé proposer l’ouverture de discussions avec le Hezbollah.