Jean Bricmont
L’Impérialisme humanitaire
lu par Raymond Legault
Jean Bricmont, L’impérialisme humanitaire, Droit humanitaire, droit d’ingérence, droit du plus fort ?, préface de Normand Baillargeon, Lux Éditeur, Montréal, 2006
Professeur de physique théorique à l’Université de Louvain (Belgique), Jean Bricmont est également un intellectuel engagé qui intervient dans les débats politiques de la gauche, en particulier sur le sujet des guerres impérialistes et de leurs justifications. Certaines de ses contributions sur les cas spécifiques de la Yougoslavie, du Congo, de la Palestine et de l’Irak, de même que des textes sur le 11 septembre 2001 et le fondamentalisme américain sont publiés en annexe. En écrivant L’Impérialisme humanitaire, Bricmont a voulu répondre à un certain nombre de ses critiques en explicitant la perspective générale qui devrait, selon lui, présider à nos prises de position particulières. D’entrée de jeu, il affirme : « L’idéologie de notre temps, en tout cas en ce qui concerne la légitimation de la guerre, n’est plus le christianisme, ni la “mission civilisatrice” de la République, mais bien un certain discours sur les droits de l’homme et la démocratie, mêlé à une représentation particulière de la Deuxième Guerre mondiale. [...] C’est à ce discours et à cette représentation qu’il faut s’attaquer si l’on veut construire une opposition radicale et sans complexe aux guerres actuelles et futures. »
Sans escamoter la question des appuis indirects ou objectifs que certaines de nos actions antiguerre peuvent apporter à des dictatures ou des régimes répressifs, l’auteur propose de fonder nos actions « sur une analyse reliant chaque situation concrète à des principes généraux qui, eux, peuvent être défendus par des raisonnements philosophiques et historiques ». Ne remettant pas en question l’universalité des aspirations et des droits formulés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, il pose des questions conséquentes à plusieurs défenseurs des droits humains, qui sont trop souvent animés par un sentiment d’urgence à faire le bien... en soutenant l’intervention des armées occidentales.
Des questions sur l’ambiguïté du « nous » dans les discours du genre « nous devons intervenir pour... » Des questions sur les liens quasi inévitables entre ingérence et guerre, entre guerre et torture. De même, si l’on ne peut nier que nos sociétés occidentales soient généralement plus libres, comment peut-on ignorer à quel prix pour les autres sociétés ? Quel chemin pouvons-nous proposer à ces dernières, celui que nous avons emprunté ne leur étant évidemment pas accessible ? Dans notre opposition à la guerre, quels sont les arguments faibles et quels sont les arguments forts ? Et pourquoi ? En s’appuyant sur de nombreux exemples historiques, mais aussi sur la présentation de situations hypothétiques, il tente d’éclairer ces questions, d’offrir des pistes de solution.
Le livre de Jean Bricmont est une contribution importante à l’élaboration d’une pensée cohérente sur la question de la guerre et des droits humains. Il est important pour nous ici même. En effet, le Canada – par ses idéologues, son général Dallaire et ses initiatives internationales – a joué un rôle important dans la formulation de ce nouveau « devoir d’ingérence humanitaire » auquel de nombreux progressistes d’ici souscrivent. Des progressistes qui cherchent encore parfois comment une armée d’occupation canadienne en Afghanistan pourrait être autre chose qu’une armée d’occupation, comment un projet impérialiste pourrait se transformer en bonne action...