L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, tome 1 : L’illusion du provisoire

No 017 - déc. 2006 / jan. 2007

Abdelmalek Sayad

L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, tome 1 : L’illusion du provisoire

lu par Mouloud Idir

Mouloud Idir

Abdelmalek Sayad, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, tome 1 : l’illusion du provisoire, Paris, Raisons d’agir, 2006.

La sociologie relationnelle de l’immigré

Il nous semble plus qu’impérieux de faire connaître les travaux d’Abdelmalek Sayad (1933-1998), sociologue algérien ayant consacré sa vie au phénomène de l’immigration. Cette dernière, comme il s’évertuait à nous le faire comprendre, s’inscrit dans une dialectique relationnelle la confinant à un rôle de sujet socialement et symboliquement classé comme marginal et mineur. À ce sujet, Sayad écrit : « Le chercheur sur l’immigration, comme tout chercheur sur les objets sociaux mineurs, peut se complaire dans une attitude ambiguë combinant une mise à distance et une participation complice, réelle ou feinte, le dédain ou la valorisation. En outre, opérant comme un déplacement des intérêts intellectuels qu’il engage dans l’étude des objets dévalorisés, il attend souvent d’un autre champ, celui-là même qu’il étudie, les gratifications symboliques que le champ scientifique lui refuse souvent a priori (par avance, hors de la considération même des résultats acquis). » C’est ce militantisme social ou engagement normatif du chercheur qui transparaît dans le présent livre de Sayad, en plus d’une rigueur intellectuelle et d’une innovation théorique à grande portée heuristique.

Ce livre se veut une réédition thématique d’articles jadis publiés dans un ouvrage de 1991, aujourd’hui introuvable en librairie. La première série d’articles est consacrée à ce que Sayad appelle « l’illusion du provisoire ». En effet, Sayad avait compris, dès les années 1970, qu’était terminée la vision classique de l’ouvrier importé qui, ayant amassé un bon pécule, regagnait son pays d’origine pour faire place à un autre. La préface que signe Bourdieu vise à montrer que Sayad a aussi compris, avant tout le monde, la crise propre des jeunes adolescents d’origine algérienne nés en France et doublement déracinés, en France et même dans leur pays d’origine. À la lecture de Sayad, on comprend qu’au-delà de la notion « d’étranger », il y a lieu de discerner la marque des origines situées dans la partie dominée du monde. De fait, l’« autre », par l’altérité paradoxale qu’il déploie, ne peut que mettre en péril l’ordre national en heurtant l’ordre hiérarchique et euphémisé de la forme nationale ainsi instituée. L’immigré, globalement, fonctionne comme un excellent analyseur de l’inconscient social en ce qu’il nous permet d’interroger la force coercitive de la structure étatique : celle-ci prétendant fonder la citoyenneté sur la communauté de langue et de culture, mais aussi la « générosité » assimilationniste qui, confiante que l’État, armé de l’éducation, saura produire la nation ; ce qui cache un « chauvinisme de l’universel ».

Enfin, ce livre s’offre à nous comme une analyse éclairante de la réalité socioéconomique vécue par l’immigré. Cette réalité « détermine tous les autres aspects de son statut : le travail fait “ naître ” l’immigré, mais rend sa présence illégitime quand l’emploi vient à manquer. L’illusion du provisoire se prolonge dans le logement, avec ses foyers qui assignent durablement leurs résidants à un habitat temporaire. Elle se perpétue enfin dans l’idée du retour, qui entretient l’espoir que l’exil n’a qu’un temps. »

Le mot de la fin revient à son ami Pierre Bourdieu : « avec Sayad, le sociologue se fait écrivain public. Il donne la parole à ceux qui en sont le plus cruellement dépossédés, les aidant parfois, autant par ses silences que par ses questions, à retrouver, pour dire une expérience qui la contredit en tout, les dires et les dictons de la sagesse ancestrale, les “ mots de la tribu ” qui décrivent leur exil, el ghorba (comme disent les Kabyles), comme un Occident, une chute dans les ténèbres, un désastre obscur. »

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