Le rôle social des syndicats
par Gaétan Breton
Le patronat dispose d’une machine de propagande énorme, incluant l’appareil étatique, qui transforme les slogans de l’entreprise en connaissance dite objective puisque enseignée dans les écoles et les universités. Les concepts qui se situent à la base même du système libéral sont vidés de leur sens pour remplir les besoins idéologiques du monde des affaires.
Face à ce pouvoir idéologique, le côté des travailleurs ne dispose que de peu de moyens pour se défendre et se retrouve, par la magie du processus scolaire à adhérer aux connaissances qui le condamnent à l’exploitation en lui faisant sentir que ce destin est la punition de son incapacité fondamentale à entreprendre.
Du côté des sans-pouvoir, on n’est pas très riches et on n’a que peu de contrôle sur les contenus de l’école ou des médias. Essayez de trouver une seule mention médiatique de la fiscalité qui ne parle pas de « fardeau » fiscal. Si la répartition de la richesse est un fardeau, que dire de son absence ? Mais, presque jusqu’au dernier, tous, pauvres ou riches, sont convaincus que la fiscalité est un fardeau, un poids, et non pas une correction essentielle appliquée à un système économique dont les règles fondamentales sont l’injustice et l’exploitation.
Le contrôle de la société
Si nous regardons la stratégie du patronat en ce moment, nous constatons qu’elle ne se concentre pas sur des entreprises ou des secteurs particuliers. Nous affrontons une immense offensive destinée à faire reculer les États et à revenir sur les acquis syndicaux des cent dernières années. Ce mouvement, mené par les grandes organisations représentant le capital, comme l’OMC, l’OCDE ou, plus près de nous, l’Institut économique de Montréal ou Cyrano, ne s’encombre pas de divisions inutiles. Il remodèle l’ensemble de la société en imposant son message à la grandeur de ce qu’on appelait, il n’y a pas si longtemps, les appareils idéologiques d’État.
Pendant que les lucides claironnent leur rengaine sur fond de peur et de soumission, les solidaires marmonnent et se condamnent au silence d’un discours électoraliste qui refuse de s’affirmer dans l’espace laissé vide par ceux qui veulent le pouvoir à tout prix, donc plaire aux riches et aux patrons. On laisse malheureusement le champ beaucoup trop libre à la droite dans son entreprise de conditionnement global de la société. Il est temps de faire le maximum pour nous y opposer.
Le nerf de la guerre
Le peu de moyens financiers se retrouvant du côté des sans-pouvoir est concentré, en grande partie, entre les mains des organisations syndicales. Dans ce sens, les syndicats sont fiduciaires des moyens des travailleurs qui constituent la gauche objective (celle qui s’y trouve de facto, qu’elle le sache ou qu’elle l’admette ou pas). Que ces sommes servent à la défense des membres, nous n’en discutons pas, mais elles servent aussi à des entreprises douteuses qui tendent à transformer le syndicalisme en patronat de bon ton. Tous ces fonds, de solidarité ou d’actions, destinés à sauver une économie poujadiste ou duplessiste (comme vous voudrez) et à augmenter le taux de syndicalisation dans l’entreprise privée, ne font qu’assister, impuissants, au recul du syndicalisme et à la mort de Québec inc., dont ils constituaient une arrière garde désespérée.
Il est temps que le mouvement syndical s’associe, non pas pour sauver l’économie, mais pour sauver les travailleurs. Pour ce faire, il faut s’opposer, avec les moyens disponibles, à l’énorme machine idéologique qui écrase tout. Dans les années soixante-dix, la CEQ (l’ancienne CSQ) proposait une journée d’école au service de la classe ouvrière. Aujourd’hui, une telle idée ferait s’esclaffer la droite et encore plus la gauche qui doit rire plus fort pour bien faire entendre sa bénignité et être bien certaine de n’effrayer personne. Les syndicats doivent investir massivement dans la production et la diffusion de connaissances de gauche qui montreront le caractère de classe du savoir dit neutre.
Nous avons un pouvoir essentiel
Un jour, dans les couloirs d’une conférence, je me plaignais du poids idéologique des ordres professionnels sur le contenu de notre enseignement en comptabilité. Quelqu’un m’a alors répondu que j’étais devant la classe, que je n’avais qu’à arrêter de me plaindre et enseigner ce que je voulais. Évidemment, je n’ai pas arrêté de me plaindre, il y a des limites à ce qu’on peut faire, mais j’ai radicalement transformé mes cours. Ce n’est pas simple ni nécessairement faisable par une seule personne. Cependant, en tant que professeurs, par exemple, nous pouvons faire un travail énorme pour le changement des mentalités, sans même commencer à contester les programmes. Le syndicalisme doit avoir un rôle essentiel dans ce processus.
Il est temps que nous quittions l’immobilisme engendré par la peur et que nous nous remettions à nous battre pour ce à quoi nous croyons, car de l’autre côté la machine fonctionne à plein régime et elle est en train de tout écraser sur son passage. Le syndicalisme doit investir massivement dans la production d’un contre-savoir et poursuivre le travail amorcé mais qui a été largement laissé en plan.
Nous en appelons à une redéfinition du concept de travailleur ou de prolétaire, avec lequel il a été confondu. Il faudra même changer le mot, car avec le chômage chronique qui sévit, une grande partie des gens dont nous parlons n’est plus formée de travailleurs au sens ancien du terme. Nous pourrions utiliser le terme exploité, mais il sera difficile d’inclure des gens qui sont sur l’aide sociale et d’autres qui gagnent plus de 50 000 $ par année dans le même groupe et, pourtant, ils sont du même côté de la barrière du capital. Je proposerai, dans un changement de perspective dans lequel le travail n’est plus au centre du monde mais bien le pouvoir de reproduire la structure sociale à son profit personnel, les SANS-POUVOIR. Ce concept de SANS-POUVOIR me semble décrire les gens qui, même relativement bien payés, subissent l’idéologie au pouvoir et n’ont pas les moyens de faire valoir un message contraire.